La nuit de Sala (roman)
Que s'est-il passé cette nuit-là, au lac de Sala, près d'Imposata, village de Sicile perdu dans les collines d'oliviers ? Qui était cette belle jeune femme - Blanche -, retrouvée noyée, et dont les marques sur le cou orientent l'enquête vers un crime passionnel ?
L'affaire est classée. Carl, l'amant de Blanche, est reconnu coupable. Il y a pourtant, dans cette histoire, trop de zones d'ombre, trop de silence pour ne pas hanter ceux qui en ont été les témoins. Des brumes de Belgique aux soleils violents d'Italie, les voix des narrateurs se recoupent, révélant une vérité plus complexe et secrète : celle des sentiments parfois contradictoires et passionnés de toute vie.
http://www.francoisepirart.be/biblio_roman_la_nuit_de_sala.html
Fiche
- Visuel
- Année
- 2006
- Édition
- Arlea
Extrait
La confession ne portait aucune signature. La page jaunie à moitié déchirée, couverte d’une écriture serrée et irrégulière, était là, devant mes yeux. Je la parcourus. Il ne me vint pas tout de suite à l’esprit que j’en connaissais déjà chaque ligne. Ce matin, les déménageurs avaient emporté les dernières archives laissées dans les sous-sols du bâtiment qui avait été le cœur de ma vie professionnelle. À présent, j’en avais enfin terminé avec la justice.
La page détachée, échappée d’un dossier détruit depuis longtemps, avait dû s’égarer dans un coin poussiéreux de la cave. Je la pliai et la glissai dans ma poche. Des sentiments confus m’agitaient. Vingt-sept ans avaient passé depuis la fin du procès. Tout ce que je croyais avoir enterré au fond de ma mémoire me revint brutalement : cet homme simple et désespéré, l’amour impossible qui l’avait poussé à accomplir son acte… Je me rappelais son visage creusé par les nuits sans sommeil, ses mains calleuses d’ouvrier, son regard fixe, absent de sentiment, ses rares paroles, ses silences. Je me rappelais sa voix, sa façon particulière de prononcer mon nom, « Salieri ». Aurais-je pu le défendre avec plus d’efficacité ? Aurais-je dû plaider la démence ? L’irresponsabilité ? Était-il vraiment coupable ? La victime ne désirait-elle pas en finir quoi qu’il en soit ? Personne ne saurait jamais ce qui s’était passé cette nuit-là au lac de Sala. J’avais accompli mon devoir d’avocat du mieux que j’avais pu, en âme et conscience. Pendant ma longue carrière, les livres m’avaient enseigné qu’il ne faut laisser aucune place aux tergiversations. J’y avais aussi appris que le fait de donner la mort à une personne qui y consent, ou qui même demande formellement qu’on la tue, n’en reste pas moins un meurtre ou un assassinat.
ELIZAN
Quand je l’ai vue pour la première fois, elle était morte. On venait de retirer son corps du lac. Son visage était bleu et gonflé. Je roulais à vélo sur la via Tradimonti, près du lac de Sala, ma sacoche pleine de lettres. Elle était couchée sur une civière, et deux hommes la portaient que je ne connaissais pas. Elle avait une robe rouge à longues manches. Ses cheveux blonds pendaient d’un côté. Un de ses bras aussi, la main ouverte. Les jambes étaient nues, la peau très blanche. Elle ne portait pas de chaussures. Je me suis arrêté, j’ai regardé. Jamais je n’avais vu de noyé, sinon un chien ou un rat. Les hommes ont poussé la civière dans l’ambulance. Leurs gestes étaient précis, efficaces. Je ne leur ai rien demandé. J’ai regardé l’ambulance qui s’en allait, silencieuse. Puis elle a disparu derrière le Monte Geraldo, cette colline où est enterré Geraldo. Mais sa mort, c’est une autre histoire, qui serait trop longue à raconter.