La légende des amandiers en fleur
Fiche
- Visuel
- Année
- 2003
- Édition
- Labor
Extrait
Ce n´est pas une bonne idée. Après la mort de Jack. Décider de partir après tant d´hésitations. Ce n´est pas une bonne idée de traverser les eaux du Tage. De se laisser bourlinguer dans les bateaux rouge-orange de Lisbonne à Cacilhas. Et de Cacilhas à Lisbonne. Interminables traversées pourtant bien trop courtes. La décision est prise ici. Entre un groupe d´Arméniens et un couple cap-verdien. Je pensais que tout avait été dit et pensé. Je pensais que rien ne pouvait plus être énuméré. Que d´erreurs pensai-je. Que de monstrueuses et lugubres indécisions. Mais voilà. La mort de Jack me pousse à vivre ce que j´ai toujours rêvé. Partir. Sa vengeance d´outre-tombe. Son dernier regard. Je me sens incapable de vivre sereinement dans cette ville. Trop à fleur de peau. Trop soucieux aussi de mon ego. Ce n´est pas une bonne idée. Le bac transporte des voitures et des motos. Des souvenirs et des projets. J´avais imaginé mille projets sur ces eaux. Dont un spectacle qui devait emmener des spectateurs d´une berge à l´autre du fleuve. Pour y retrouver un dîner imaginaire en pleine révolution des œillets où Pasolini et Moravia parleraient de leur voyage en Inde à des amis portugais. Mais je ne suis pas metteur en scène. Je ne suis pas écrivain. Je ne suis qu´un drogué. Un vendeur de coke et d´alcool dans un bar du centre de Lisbonne. C´est ma fonction. Le va-et-vient du bac. Le fleuve se réveille tel un monstre. Il nous bouscule. Un jeune black me cligne de l´œil et j´entends à travers ses écouteurs les mots de 2pac Shakur qui chante ne vouloir être jugé que par Dieu. Ne serait-ce que pour cette raison que je suis là ? Dans l´attente ? Incapable de bouger de peur d´être jugé par la société. Il est seize heures cinquante-huit. Je me décide enfin à me frayer un passage vers la sortie. Et à mettre les pieds sur la terre ferme. De quel côté vais-je descendre ? Cacilhas ? Lisbonne ?