Professions de foi
Régine Vandamme revient sur le personnage central de Ma mère à boire, au moment où il apparaît que la maladie n'accordera plus aucun sursis à cette femme ordinaire et hors du commun. Durant ces jours comptés, la narratrice égrène ses souvenirs et laisse s'élever la voix de ceux qui, avec elle, accompagnent la malade en exerçant leur métier: le médecin de famille, la pharmacienne du village, l'infirmier, la coiffeuse, l'ambulancier... L'auteure aborde ici le sujet délicat de la disparition prochaine d'un être cher et de son accompagnement jusqu'aux limites extrêmes de la vie. Au-delà de la gravité du propos, c'est d'amour et de dignité qu'il s'agit.
Fiche
- Visuel
- Année
- 2006
- Édition
- Castor astral (Le)
Extrait
Tu en fais rien, tu es là. Tout est bien, je t'assure.
Tu as une incisive supérieure qui cherche le soleil depuis toujours, depuis que tu as tes dents définitives, depuis que je te regarde. Je le vois de plus en plus, dans ton sourire, dans ta bouche qui me parle. Qui me parle de ta mort.
Tu zas des meubles marocains en bois ajouré en moucharabiehs. Les pieds de la table dont autant de portes en style arabe ouvrant sur le désert de ta vie jonchée de tapis orientaux qui n'ont de magique que les motifs, que l'histoire qu'ils racontent, imaginés par des femmes aux doigts agiles, en proie à des rêves, comme les tiens, inaccessibles.
Tu nous laissais, mon frère, ma sœur et moi, apeurés, des après-midis entiers à t'attendre à l'arrière de la Volvo Amazone stationnée en plein cœur de Lille, une ville pour nous, pauvres petits Flamands, totalement étrangère. A cette éppoque la métropole portait encore les traces visibles et sinistres de son passé industrieux. Tu ne le voyais pas, attirée que tu étais par les spotlights des boutiques que tu écumais au bras de ton amoureux. Femme avant tout, mère après tout le reste.
{...}
La coiffeuse à domicile
{...} Je suis allée chez Madame R. chaque jeudi de février à mai 2002. La dernière fois, c'était trois jours avant son soixante-et-unième anniversaire, trois semaines avant sa mort. A ma grande surprise, elle m'a demandé de lui serrer bien fort le brushing et de mettre de la laque. "Beaucoup de laque légère. Cette fois il faudra qu'il dure longtemps, plus longtemps que les autres. On annonce grand mauvais temps."
Le lendemain, une canicule prenait ses quartiers dans le pays et au-delà des frontières; elle allait répandre ses touffeurs tout au long de juin, sans la moindre petite bise à l'horizon.