Bjorn aux enfers III
Au cœur du Tanarbrok
Fiche
- Année
- 2006
Extrait
Ketill, les bras ouverts, tel Jésus sur la Croix, se trouvait maintenant au bord de l’abîme. Il semblait indifférent aux paroles de son instructeur, qui finit par se fâcher. Des éclats de voix nous parvinrent, mais la distance nous empêcha de comprendre ce qui se disait. Une chose est sûre, Ketill criait aussi fort que Svartog. - Je préfère ça, dit Sigrid. Le premier vol de Ketill le Rouge restera gravé dans nos mémoires. Il chuta d’abord comme une pierre, et je me demande toujours comment, au dernier instant, il plana au lieu de s’écraser. Ce fut un long rase-mottes au-dessus du fleuve bouillonnant et des marécages. Les pieds de Ketill touchèrent le sol et l’eau à maintes reprises, tandis que le cerf-volant ballottait. Notre compagnon fonçait droit sur un saule maritime, quand un souffle de vapeur compacte (il devait sortir d’un petit cratère) le projeta vers le haut. Ketill monta, monta... emporté dans un tourbillon infernal. - Il ne se dirige plus ! s’alarma Sigrid. Un vent puissant, mystérieux, inespéré rejeta Ketill hors du tourbillon, et le cerf-volant entama une descente oblique en direction d’une haute tour rocheuse. C’est alors que Ketill sembla reprendre le contrôle de son aile pour réussir un demi-tour dangereusement rapide. Son retour fut laborieux, héroïque : le cerf-volant penchait à gauche, à droite, refusant tout à fait la position horizontale. Nous entendions crier la toile et l’armature de joncs. Ketill termina son vol sur le ventre, la tête enfoncée dans le sable. Nous courions vers lui pour le secourir... - Je retire ce que j’ai dit ! lança-t-il en se redressant. Sa face hirsute et rayonnante nous rassura immédiatement. - Rien de plus grisant ! Même le galop du meilleur coursier n’égale pas ce bonheur !... Plénitude, extase, euphorie des hauteurs ! Hourra ! Un aigle, je me suis cru un aigle !... Le monde vous appartient, là-haut. Ah ! la caresse du vent sur le visage ! Ah, le bruit de l’étoffe qui se tend et se tend encore, à chaque changement de cap : clac !... clac !... Svartog ! Hé, Svartog ! J’étais un aigle, un faucon cendré ! Honnêtement, Ketill en vol ressemblait plutôt à une perdrix prise de crampes. Mais personne n’eût la cruauté de lui enlever ses illusions. Svartog avait suivit Ketill de près. Il venait de se poser sans bruit et nous rejoignait d’un pas tranquille. - Ton cerf-volant est intact, se réjouit-il. - Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? À ton tour, mon fils, dit alors Ketill en me poussant vers la falaise. Va jouer à l’oiseau !