Louise du bout du monde
Extrait
Quentin, mon chum-du-bout-du-monde,
Tu m'as envoyé des tas de messages, tellement, et avec tellement d'amitié et de chagrin dedans, que je n'arrive pas à suivre la résolution que j'avais prise, de ne pas te répondre, de ne plus jamais te parler.
Je suis tellement triste, si tu savais. Et j'ai honte, parce que je t'ai menti. Pas au début, simplement je n'ai pas parlé de mes jambes, c'est tout. J'avais tellement peur de te dégoûter ! Après, j'ai voulu être la plus belle pour toi, être comme je rêve d'être, comme je suis au fond de mon cœur. Une fille normale, qui fait tout ce que j'ai toujours eu envie de faire : du cheval, de la danse. J'aime tant les chevaux… Et la nuit, dans mes rêves, je suis la plus grande danseuse du monde.
Je n'ai jamais eu d'amis, tu comprends, ou alors des malades, comme moi. Les filles et les garçons normaux, ils ne s'intéressent pas à moi, ou bien par pitié, et ça, ça me fait horreur. C'est pour ça que je ne vais pas à l'école, je suis des cours par correspondance, à la maison, et je lis beaucoup. Je ne sors pas souvent. En chattant avec toi, j'ai eu l'impression, pour la première fois de ma vie, d'être comme tout le monde. D'avoir un ami, un garçon qui m'aime bien, et qui n'a pas pitié, et qui n'a pas non plus envie de se moquer.
Alors je t'ai envoyé une photo où on ne voit que mon visage, et quand tu m'as écrit que tu me trouvais mignonne, ça m'a fait tellement plaisir, et en même temps je me suis sentie si triste… C'est à ce moment-là que j'ai décidé de te mentir, de faire semblant d'être une fille comme les autres. J'ai voulu m'inventer une vie de rêve, tu sais, une vie « virtuelle ». Ça ne faisait de mal à personne, et tu ne le saurais jamais, avec toute cette distance entre nous.
Alors, quand tu m'as dit que tu allais venir ici, j'ai été affolée. Je ne voulais pas que tu me voies avec mes jambes mortes, je voulais que tu gardes l'image de la fille que je suis, au fond de mon cœur. C'est pour ça que j'ai cessé de t'écrire. J'ai espéré que tu m'oublies vite. Toi, tu as des copains, tu fais du sport, tu sors… Ça doit être facile, d'oublier une fille qu'on n'a jamais vue vraiment. Mais tu as continué à m'écrire, et j'ai senti tellement de colère et de peine dans tes messages, que j'ai eu honte. Je veux te dire la vérité, et te demander pardon pour t'avoir menti. Je sais bien qu'après ça, tu ne voudras plus jamais communiquer avec moi, et je l'ai bien mérité. C'est bien fait pour moi, ça m'apprendra à faire semblant d'être quelqu'un d'autre.
Mais je veux te dire, Quentin, que les moments que j'ai passés à bavarder avec toi, sur le Net, ont été les plus beaux de ma vie, les plus heureux. Même si tu ne m'écris plus jamais, pour moi, tu resteras toujours mon grand ami. Mon seul ami.