Brise de mère

 Une femme dans le siècle. Une mère. Née à la fin de la première guerre mondiale, cette femme se marie pendant la seconde et traverse les trente glorieuses dans l’ombre de son mari, elle élève ses quatre enfants sans espoir de reconnaissance, parce que c’est son devoir, rien que son devoir. Tristesse des soirs d’automne, jalousie d’être née trop tôt dans le siècle et de voir les générations qui suivent s’émanciper d’un machisme ordinaire, d’un patriarcat qui ne s’est jamais remis en question. Le dernier de ses fils est le témoin de cette soumission à laquelle elle ne résiste qu’au travers de quelques sarcasmes lapidaires. Sentiments contradictoires, de révolte instinctive et d’attachement viscéral, de ce cadet pour celle qui dans sa vieillesse est devenue si fragile, si vulnérable. Il l’accompagne jusqu’aux portes de la mort.

Fiche

Année
2017
Édition
Weyrich - coll. Plumes du Coq
Distribution
Weyrich
Diffusion
weyrich

Extrait

Empreintes

 

 

         Avant de naître, j’existais. Dans un en deçà de la conscience, dans un projet informel, une succession de projets, un terreau qui laisse des sédiments se propager, se mêler, former un humus compact, une marne épaisse. Agrégat de tendresse et d’oubli, de rudesse, de déni. Crues et crises, glissements et dépressions vinrent éroder cette tourbe d’amour ou de haine. Ce composite est devenu une île, une solitude.

 

         La mémoire nous taraude, nous sommes mémoire et projet, projet de mémoire ; le jeu de l’écriture fait surgir la mémoire dans l’échancrure des lendemains. Nous ne nous souvenons pas uniquement de ce que nous avons vécu ou de ce que nous sommes persuadés d’avoir vécu, mais aussi de ce qui fonde ce vécu, ce substrat existentiel que nous partageons avec nos frères. Nous sommes issus de l’absence qui demeure, du manque qui précède chacun de nos pas.

         « La fin est l’endroit d’où nous partons », disait T.S. Eliot. J’appelle des figures anciennes, les amène un instant à l’avant-plan pour les replacer ensuite dans le fond de la toile, recomposant ainsi un décor, fine encoche d’un segment infinitésimal d’éternité que constitue une existence. Notre histoire se perd dans l’Histoire, et je ne peux ne pas penser ici à la grande hache de Georges Perec. La mort comme une entaille, tantôt cicatrice, tantôt lever de rideau, ouverture qui permet de franchir les portes qui s’étaient refermées sur les vanités de nos ego et la peur de disparaître.

         Écrire, c’est scruter le visible pour entendre l’invisible.