Diez y ocho y media

Yoko et moi nous reconnaissons immédiatement. Il y a tant à dire de nos continents respectifs, nous nous arrê- tons dans un bistrot du vieux quartier de Viña. Cette ville est en pleine effervescence, tout ce que le Chili compte de factice doit y parader au cœur de l’été. Nous parlons et je suis étonné de la facilité avec laquelle je me débrouille en espagnol, en “castellano” comme ils nomment leur langue ici. Yoko me ramène chez elle, à Concón, à quinze kilomè- tres de là, elle occupe un deux-pièces dans une propriété d’amis. Et quand je dis deux pièces, ce n’est pas trois, si ce

n’est la minuscule salle de bains. D’ailleurs, elle s’y rend pour un petit besoin.

Malgré l’étroitesse de la cuisine, je risque de me dé- lester du lourd sac à dos. Avec précaution. À l’instant même où je le pose par terre, toute la maison de bois est prise de convulsions ! Le chalet s’ébroue, fait craquer ses jointures. Je reste interdit, coupable presque... J’examine tout autour, ne vois rien de renversé. Yoko sort de la toi- lette :

- « sismico », me dit-elle en souriant.

Yoko prépare une collation pour le soir, je me promène le long de l’océan que Magellan trouva curieusement pacifi- que. Je suis enivré. Être seul à l’autre bout du globe. Seul et nullement abandonné. Je me sens chez moi.