La main invisible

Credo in invisible manum

La main invisible

2e édition

Essai

Credo in invisibilem manum

Visiblement, quelque chose ne tourne pas rond !

Nous sommes les arrières petits enfants des grandes ruptures sociétales du siècle des Lumières et de la Révolution industrielle. Depuis cette époque, la production matérielle globale de l’économie s’est mise à croître de manière exponentielle pour atteindre une taille telle qu’elle attaque les frontières physiques du monde que nous connaissons : nous puisons plus de ressources qu’il n’y en a de disponibles, nous n’attendons pas que celles qui sont renouvelables se reconstituent et nous rejetons dans la biosphère plus de déchets qu’elle n’est capable de recycler. La « production » de nos sociétés n’est ni le bien-être individuel et collectif, ni le bien commun, ni une économie au service de la société, ni « une meilleure vie », mais le chaos et la destruction. Les deux bombes du climat et des inégalités explosent.

Cette démesure trouve sa source dans une « économie idéologique ». L’économie libérale commence par l’observation de faits réels, l’existence des marchés, mais elle s’éloigne très rapidement de la réalité en faisant du marché un absolu qui transcende la totalité des relations humaines. Le communisme part du fait de l’accaparement et de la concentration de la plus-value du travail au seul profit des capitalistes et en arrive à instituer l’État totalitaire comme guide suprême des aspirations populaires. Les économies idéologiques imposent leur subjectivité aux faits pour transformer la société conformément à leurs dogmes.

Contrairement à leur doxa économique, l’être humain et les systèmes sociétaux ne sont pas des « objets » rationnels. Les passions, le Bien et le Mal s’imposent à chacun de nous et aux collectivités et guident bien souvent nos comportements. La tragédie n’est jamais loin. Nous refusons toujours avec une admirable constance de tirer les conséquences pratiques d’un vieux constat : l’absurdité d’une croissance infinie avec des ressources finies !

« La main invisible » est née d’une réaction face aux destructions que l’homme inflige à la nature, au mépris dont il fait preuve à l’égard de sa « terre mère » dans sa recherche implacable et égoïste de profits, à l’arrogance monstrueuse des puissants et des riches. Il s’agit d’explorer, de comprendre et d’expliquer comment le divin Marché a fini par remplacer Dieu et nous menés dans une impasse tragique.

Le livre montre aussi que des solutions pratiques, réalisables, existent et commencent d’ailleurs à se mettre en place. Pourtant, chose étrange, malgré une large prise de conscience et l’urgence, nous restons aveugles. L’essai essaye d’expliquer cette contradiction.

L’approche est subjective et certainement partielle, fruit de nombreuses discussions et échanges, de diverses expériences de vie, de recherches et lectures sur l’histoire, l’économie et l’information, trois domaines dont les relations et interactions sont complexes. Elle est également globale en ce sens qu’elle s’efforce de dégager les mécanismes fondamentaux qui ont conduit l’humanité à se livrer aux sectateurs des prêtres de la révolution néolibérale.

Le livre commence par une description du système sociétal défini comme l’ensemble de tous les éléments constitutifs d’une société et de leurs interactions entre eux et avec leur environnement. Il aborde ensuite les « grappes adaptatives » qui constituent le moteur de l’évolution du système. Il développe plus particulièrement la grande rupture du XVIIIe siècle et l’invention du marché autorégulateur qui ont précipité le système sociétal dans ce que Karl Polanyi a appelé « l’économie de marché », nous ont jetés dans les bras des dieux à jamais insatisfaits qui ont pour noms progrès, profit et croissance et lancés dans l’attaque suicidaire des fondations physiques et biologiques de notre terre. L’essai traite par la suite du regain de vigueur donné à pareil assaut par la ré­volution néolibérale lors de son triomphe sur le communisme et de l’appui que lui apporte la « machine informationnelle », véritable usine à conditionnement qu’il expliquera. Il fera également un détour par l’agriculture, témoin privilégié de nos errances. La course vers l’abîme n’est pas inéluctable et les moyens existent pour l’infléchir malgré les brise-lames. Nous conclurons par la nécessité de construire un récit radicalement différent et commettre le déicide du Marché.

Fiche

Visuel
Images
Année
2022
Édition
autoédition
Distribution
Le livre en papier
Production
Autoproduction

Extrait

La main invisible

Extrait du chapitre « Notre représentation du système sociétal »

Notre représentation du système sociétal doit beaucoup à la définition que J.K. Galbraith 1 donne de l’économie :

« J’emprunterai la définition d’Alfred Marshall (...). Il disait que l’écono­mie n’est rien d’autre que l’étude de l’humanité dans la conduite de sa vie quotidienne. J’ajouterai à cela l’étude du rôle des organisations, de la ma­nière que les hommes ont de faire appel aux grandes entreprises, aux syndi­cats et aux gouvernements pour satisfaire leurs besoins économiques ; l’étude des buts poursuivis par ces organisations, dans la mesure où ils s’accordent ou s’opposent à l’intérêt général. Et enfin la manière de faire prévaloir l’inté­rêt de la collectivité 2».

Cette définition se dresse comme une charpente à laquelle on peut accrocher de nombreux domaines de recherches. Tout d’abord elle parle simplement de la réalité des sociétés humaines. Elle met en évidence que l’économie est au service des hommes et qu’elle concerne leur vie de tous les jours.

Extrait du chapitre « La révolution néolibérale »

Les raisons d’une victoire

La révolution néolibérale prit son envol au début des années 80 du siècle dernier avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et de Ronald Reagan aux États-Unis. Elle avait été dûment préparée et orchestrée par l’honorable société du Mont Pèlerin dont les adeptes et affidés formaient le gros des bataillons de conseillers économiques des gouvernements américains et britanniques. Ils avaient également pris les leviers du pouvoir au sein du FMI, de la Banque Mondiale et des organismes qui en dépendent ou gravitent autour. Ils dictaient l’agenda du Forum de Davos et animaient de puissants « think tanks » chargés de répandre l’Évangile néolibéral.

Son succès fut d’autant plus net que les États-providence arrivaient en bout de course.

Extrait du chapitre « Les brise-lames »

Incontestablement, les lames de fond du changement sont puis­santes. Mais leur puissance ne suffit pas. Il semble bien que, si nous sommes clairvoyants, nous restions quand même aveugles : nous ne parvenons pas à croire ce que nous voyons. Nous végé­tons, engoncés dans une véritable acratie 4. Nous n’arrivons pas à traduire notre prise de conscience, nos connaissances, les infor­mations dont nous disposons en décisions politiques et en actes concrets, à provoquer une mise en œuvre massive et décisive des changements nécessaires, à bousculer les résistances et réticences de tout acabit, à transcender les intérêts particuliers au profit de notre survie à tous. En fait, les vagues de la transition se heurtent à nombre de brise-lames. Et il faut bien reconnaître qu’ils sont capables de provoquer le doute, l’incertitude et d’énerver la nécessité d’agir.

Extrait du chapitre « Le déicide:retrouver l’audace d’espérer »

Le néolibéralisme n’est pas une théorie économique, mais bien une religion totalitaire. Elle a conféré au « MARCHÉ »immanence et transcendance et toute puissance sur la vie des sociétés humaines. Son bilan est calamiteux. La grâce divine du « Dieu marché » est l’argent. Son cortège traîne la sacralisation du profit, l’évasion fiscale systémique, un court-termisme systématique dans l’approche des problèmes, l’abandon de tout intérêt social dans le chef des entreprises, de leurs dirigeants et actionnaires, le mépris des travailleurs, la férule des intérêts privés sur le bien commun, les délocalisations des activités avec les désindustrialisations qui s’ensuivent et leurs ravages sociaux,l’abdication des souverainetés industrielles, alimentaires, scientifiques et des responsabilités de l’État dans la défense du bien commun, la croissance exponentielle des inégalités, la privatisation des gains et la collectivisation des pertes, ladégradation continue du climat et de l’environnement, une corruption insensée dans le fonctionnement de la société…Sa soif insatiable de profits nous impose des quêtes consuméristes affolantes qui nourrissent la désespérance. Nombreux sont d’ailleurs celles et ceux qui ne peuvent que rêver, rageusement, le nez collé aux vitrines des magasins. Elle a ainsi engendré d’immenses frustrations. Nous goûtons à la profonde amertume de l’injustice et l’espoir d’une vie meilleure, plus accomplie, s’évanouit. Cette religion nourrit ainsi les tentations d’abandon de la démocratie pour se réfugier dans le confort illusoire des populismes avec un repli frileux dans des identités fallacieuses, une fuite éperduevers des régimes autoritaires et des « hommes forts » 5, l’émotionnel haineux des réseaux sociaux, l’évasion dans les mirages fumeux de soi-disant réalités alternatives.

Cette religion n’est pourtant pas une fatalité.

Y échapper, c’est d’abord prendre pleinement conscience que la réorientation du système sociétal, cette découverte des nouvelles terres, passe par l’abandon radical de manières de penser, de vivre et de consommer profondément ancrées chez chacun et chacune d’entre nous depuis plus de deux siècles.