Alain Visenthal

  • Écrit / Audiovisuel / Spectacle vivant / Son

A l'heure où je vous parle, je devrais être morte

Sur le thème de la femme battue, le témoignage d'une femme qui aujourd'hui devrait être morte des sévices que lui a fait subir son mari.

Fiche

Année
2009

Extrait

Pour la victime, c'est-à-dire celle qui a été agressée dans sa chair et dans son âme et qui en gardera souvent les traces indélébiles (la victime de fait de violence, en plus des cicatrices, a vécu un traumatisme. Un choc psychologique aussi violent que les coups portés), la justice ne sera jamais assez sévère avec ses agresseurs. La peine prononcée ne sera jamais assez lourde envers ceux (celui, ou celle) qui se seront rendus coupables des souffrances qu’elle a enduré et continue d’endurer.
Alors, celle qui se tournait, désespérément, vers le bras vengeur de notre société afin qu’il punisse durement le(s) responsable(s) de ses tourments et qui n’est pas reconnue (car c’est bien cela le problème du jugement : la reconnaissance du justiciable, à la hauteur du dommage qu’il estime avoir subit) se pose alors des questions : « Quelle est la place de la victime dans cet appareil judiciaire qui manque cruellement d’humanité ? ». « Pourquoi le criminel est-il mieux défendu ? Pourquoi, apparemment, jouit-il de plus de droits ? » « Pourquoi une telle clémence ? ». « Quelle est la logique de ces juges, de ces magistrats ? » « Une, deux, trois années de réclusion pour un meurtre, ou une tentative d’assassinat. La vie humaine vaut-elle si peu… ? »
Selon Francine Lemaître, la Justice ne lui a pas rendu justice.
Dans le cas de cette femme, qui pour la première fois de sa vie, se trouvait confrontée au système judiciaire, et aux représentants des valeurs qu’ils incarnent (elle qui s’était forgée une image romantique du juste et du bien) a vécu l’expérience d’une réalité décevante, et au bout du compte de la désillusion. Une désillusion qui, dans un premier temps, la plonge dans le désespoir. Est il possible, après ce qu’elle a subit, qu’elle soit si peu considérée ? Les faits sont pourtant graves. Son ex-mari a tenté de la tuer. A l’heure qu’il est, elle devrait être morte. Et elle constate, avec indignation, que l’on accorde plus de considération à son bourreau qu’à elle-même. Lui, on l’écoute, on le défend correctement, on lui trouve des circonstances atténuantes, on l’encadre. Alors, le désespoir de Francine Lemaître va se transformer en une colère légitime. Une colère qui lui donne la force de s’exprimer, de parler, de dire sa souffrance, encore et encore, surtout à ceux qui refusent de l’entendre, à ceux qui préfèrent se boucher les oreilles. Elle ne veut pas que ce qu’elle a vécu soit banalisé et passe pour un simple incident de parcourt.
Son histoire pourrait être, malheureusement, la vôtre, ou celle de milliers de femmes. Il suffit d’ouvrir son journal : la rubrique des faits divers témoigne, quotidiennement, de violences faites à des femmes par leurs maris, leurs conjoints (c’est-à-dire, en principe, par les personnes qui les aiment le plus et qui sont sensées les protéger).En Belgique, septante femmes, chaque année, perdent la vie à la suite de violences conjugales. Cent quarante dossiers sont ouverts, par jour, dans notre pays. La majorité des affaires qui aboutissent finalement devant les tribunaux, se trouvent d’emblée requalifiées de crimes passionnels. En ce qui concerne l’affaire Lemaître, si, effectivement, il est question de passion, on est loin de l’amour qui pousse un homme à sacrifier son épouse plutôt que de la perdre, on est loin de ce sentiment magnifique auquel on voudrait rattacher les actes de vengeance d’un homme en colère, bafoué dans sa virilité, humilié d’avoir été quitté par une femme qu’il croyait dominer, qu’il pensait définitivement soumise. On est dans une expédition punitive qui a virée au drame.