Ne me regarde pas, je n'ai fait que courir, et courir, et courir, et le sol sous mes pieds faisait l'effet d'une brûlure, je ne me suis pas arrêté, je ne m'arrête jamais, même maintenant immobile, seulement pour les yeux, immobile je ne peux le rester, c'est la route qui était en moi, la route, pas de route, j'ai marché en dehors des chemins, au loin, au creux de la terre, et plus loin encore, j'ai marché jusqu'ici, sans bruit, j'ai frôlé le sol, foulé la terre, déposé ma marque légère, invisible, dans la boue je suis passé, j'ai laissé ma trace et la boue à son tour m'a marqué, regarde cette boue, ne me demande pas d'où elle vient, ne me demande rien, laisse-moi te parler, moi qui ne parle jamais, moi qui ne veux pas qu'on m'approche, laisse-moi me reposer un instant avec toi, garde tes distances, ne pose pas ton regard dans le mien, reste là, je veux te sentir, à distance respectable de moi, depuis des jours, j'ai marché, pour arriver jusqu'ici, j'ai marché, sans fatigue, au hasard, sans but précis, est-ce que je fuyais, je n'ai peur de personne, j'ai laissé derrière moi la vieille peau de serpent, j'ai commencé à marcher, je ne voulais rien d'autre que de voir la ligne d'horizon reculer toujours plus loin, plus loin encore, le jour où je me suis mis en marche, il pleuvait, le ciel était bas, l'air était chargé du parfum des feuilles mortes, parfum mouillé de la vie, retour à l'enfance, bonnet et écharpe nouée autour du cou, cette image me vient aujourd'hui, quand je me suis mis en marche ce jour-là, j'avais la tête vide, la pluie coulait sur mon visage, gouttes froides, j'étais seul, je me souviens avoir fait quelques pas, laissant la maison dans mon dos, je me souviens avoir hésité, secoué par le vent de novembre, un vent à glacer les os, je me balançais d'avant en arrière, j'ai attendu que la nuit tombe, et mon corps trempé, refroidi par le vent, s'est réveillé enfin ...