Bulldozer
Bien avant ma naissance, on appelait Détroit “Motor City”. C’était la capitale de l’automobile, du progrès ! Aujourd’hui, des quartiers entiers sont démolis. Les habitants, menacés d’expulsion. Alors, j’ai décidé d’agir…
Roman suivi d'une postface sur Détroit, ville en décroissance démographique et économique.
Fiche
Extrait
(...) c’est toujours les mêmes qui trinquent, selon mon père. Les
mêmes qu’on sacrifie quand tout va mal. D’abord ceux qui n’ont
pas de statut : les personnes invisibles, qui travaillent à la petite
semaine et se débrouillent comme elles peuvent. Puis les petits
salariés, les fonctionnaires, les professeurs, les bibliothécaires, les
aides-soignants, les commerçants. Finalement, les banques ont entraîné
toute la classe moyenne dans leur chute. Elle s’est cassé la
figure et personne n’a voulu la relever. C’était plus simple de sauver
le marché, la finance, le système, que de venir en aide aux gens.
Quand l’usine où il travaillait a fermé, il y a plusieurs années, Bob et
Nancy ont décidé de résister. C’est comme ça qu’ils ont dit. Résister.
Maman et papa ont dit qu’on allait les aider et qu’ensemble on
serait plus forts. Papa et Bob ont marqué le coup en ouvrant deux
bières, puis deux autres… Ils rigolaient beaucoup, et maman et
Nancy avaient l’air soulagées. Mais cette fois-ci, personne ne parle
de résister. La seule chose dont ils discutent ensemble, c’est de la
ville où Bob et Nancy ont décidé d’aller vivre. Une ville beaucoup
plus petite, à plusieurs centaines de kilomètres d’ici. Bob a de la
famille là-bas : son cousin Ray a promis de l’employer dans son
garage dès que l’année scolaire sera terminée. Un vrai contrat, cette
fois. Déclaré, a dit Bob. Avec son salaire, ils pourront louer une
maison avec jardin, près de la mer. Nancy n’aura peut-être même
pas besoin de travailler tout de suite… Dès que Bob en parle, je
vois que Nancy a envie de pleurer, mais personne ne dit rien, parce
qu’il n’y a rien à dire.