Anna Alexis Michel

  • Écrit / Audiovisuel / Spectacle vivant / Multimedia

Créer, c'est vivre deux fois

Hommage à Albert Camus

Livre collectif sous la direction éditoriale d'Anna Alexis Michel et la direction scientifique de Mona Azzam

Préface de Vincent Engel

Couverture et Direction Artistique

Sandra Encaoua Berrih

Contributeurs

Anna Alexis Michel, Mona Azzam, Nour Caddour, Benoît Cazabon, Valérie Chèze Masgrangeas, Luxy Dark, Olivier Coutier-Delgosha, Laurent Desvoux-D’Yrek, Émilie Dhérin, Laurence Flez-Renaudin, Vincent Engel, Muriel de Foucault, Gilles Gaillard, Cathy Galière, Jean-Michel Guiart, Évelyne Guzy, Christine Hainaut, Belinda Ibrahim, Martine L. Jacquot, Yannick Jan, Florence Jouniaux, Didier Kimmel, Marie Le Blé, Michel Lobé Etamé, Florence Lojacono,  Meziane Mahmoudia, V.Maroah, Sandrine Mehrez Kukurudz, Valérie Mirarchi, Carole Naggar,  Aude Prieur, Ingrid Recompsat, Marie-Amélie Rigal,  Claudia Rizet, Abdelkrim Saifi, Marc de Saran, Élisabeth Simon-Boïdo, Philippe Stierlin, Michel Tessier, Sophie Turco, Jean-Michel Wavelet.

Fiche

Année
2023
Édition
Éditions Rencontre des Auteurs Francophones
Co-auteur.trice(s)
Livre collectif sous la direction d'Anna Alexis Michel et Mona Azzam

Extrait

Carnet de voyage de Madame D.[1]

Anna Alexis Michel

(États-Unis)

Le train fut une horreur, les enfants infernaux. Raymonde a fini par les calmer. Je craignais, en l’engageant, qu’elle ne soit trop jeune, mais avoir seize ans aujourd’hui, c’est en avoir mille sans doute. Ils se sont endormis jusqu’à Rouen. Elle aussi d’ailleurs, le petit sur ses genoux, ma fille sous un bras, mon grand fils appuyé sur l’autre. Elle fera une bonne très convenable à Washington.

Plus loin, sur la banquette près de la fenêtre, une femme blonde reniflait entre deux larmes. J’ai d’abord pensé qu’elle voyageait avec le grand ténébreux aux yeux gris assis en face d’elle. Elle lui demandait mille choses : de changer de place d’abord, de ranger son manteau ensuite, de tenir son grand cabas enfin, le temps qu’elle cherche, dans son sac à main, un mouchoir dans lequel elle avait fini par se moucher avec des bruits d’otarie.

J’avais déduit de l’attitude affable de l’homme qu’elle était sa femme. Mais j’ai réalisé que ces deux-là n’avaient rien en commun. La demoiselle avait l’air d’une de ces vendeuses de la Samaritaine, d’une de ces gentilles filles qui s’imaginent qu’une vaporisation de Shalimar pourra magiquement les transporter dans le XVIe arrondissement. Alors que leurs gestes, leur gouaille et ce phrasé un peu haletant et précipité finissent toujours par les remettre à leur place.

Lui, je ne sais pas, il dégageait quelque chose d’indicible et de familier, comme s’il faisait partie de mes souvenir d’enfance. Il a dû sentir mon regard, il m’a regardée. Ses yeux gris m’ont glacé le cœur. Nous ne nous sommes évidemment pas adressé la parole.

         Nous en aurons pourtant l’occasion, je l’ai entendu dire à une dame qui descendait à Rouen qu’il se rend en Amérique pour y donner un cycle de conférences. Nous serons, sans aucun doute, sur le même bateau.

 

[1] Dans ses « Journaux de voyage », Albert Camus évoque divers personnages rencontrés pendant la traversée de l’Atlantique à bord de l’Oregon, dont une certaine Madame D. Le postulat choisi ici est que Madame D. aurait, elle aussi, tenu un carnet décrivant sa relation avec Albert Camus. La nature de cette relation et les propos prêtés à Madame D. relèvent de la pure fiction. Cependant, les détails factuels sont exacts en ce qu’ils sont tirés du Journal d’Albert Camus et étayés par les recherches effectuées, notamment dans le manifeste des passagers de l’Oregon.