Anna Alexis Michel

  • Écrit / Audiovisuel / Spectacle vivant / Multimedia

Marguerite Yourcenar, la première immortelle

Hommage à Marguerite Yourcenar

Livre collectif en hommage à Marguerite Yourcenar sous la direction d'Anna Alexis Michel, présenté le 3 décembre 2023 à la Maison de la Francité à Bruxelles.

Préface de Rémy Poignault, Président de la SIEY.

Couverture

Sandra Encaoua Berrih

Contributeurs

Anna Alexis Michel, Agnès Castera, Olivier Coutier-Delgosha, Laurent Desvoux-D’Yrek, Émilie Dhérin, Sandrine-Jeanne Ferron, Jean-Michel Guiart, Martine L. Jacquot, Jean Jauniaux, Florence Jouniaux, Michel Lobé Etamé, Anamaria Lupan, Meziane Mahmoudia, V.Maroah, Sandrine Mehrez Kukurudz, Carole Y. Naggar, Billy Nzalampangi Ngituka, Rémy Poignault, Annie Préaux, Aude Prieur, Mariem Raïss, Marie-Amélie Rigal,  Claire Rio Petit, Élisabeth Simon-Boïdo, Sophie Turco.

Fiche

Vidéo
Images
Année
2023
Édition
Éditions Rencontre des Auteurs Francophones
Co-auteur.trice(s)
Livre collectif sous la direction d'Anna Alexis Michel

Extrait

Mémoires de nous

Anna Alexis Michel

(États-Unis d’Amérique)

Ma chère Marguerite,

         Qu'il me soit permis, sans que je trouble votre juste repos, de vous parler de nous. De souvenirs de nous. De ces souvenirs que vous n'avez pas, puisque vous ignorez jusqu'à mon existence. Ces souvenirs qu'il me brûle pourtant, depuis votre absence omniprésente, de partager.

         La première image de vous, celle du jour où vous êtes entrée dans ma vie ? Je vous y vois assise chez vous, face à moi et pourtant si loin, de l'autre côté de l'Atlantique, dans le Maine. À la table, ronde, enfantine, théâtrale, malicieuse, tout à la fois forcément, posée précieuse parmi vos bibelots, vous répondiez à Bernard Pivot, cet homme dont, avec mon père, nous suivions chaque apparition télévisuelle avec la dévotion réservée aux cérémonies[1].

         Je me souviens de la corde élimée du tapis sous mes cuisses, des pampilles de cristal dont le tintement régulier - chaque fois qu'un véhicule passait sur la trémie du viaduc, soit presqu'à chaque seconde du battement de mon cœur -, donnait à notre petit salon bourgeois l'illusion de fêtes lointaines, gaies, presqu'oubliées, et pourtant toujours rémanentes.

         Sur votre visage, je n'ai vu ni les ans ni les rides, j'ai vu la malice de vos yeux, l'intelligence de votre regard. J'ai entendu, sous la voix grave, l'ironie des choses importantes. Sous la retenue feinte, la férocité du raisonnement. Et sous le corps large, le cœur gros.

         Il y a pour toujours en nous ce qui reste de notre enfance, celle des plaines de Flandres. Vous, celle des bois, moi, celle des dunes. Vous, celle du Mont Noir, moi, celle des plages sauvages s'étendant sur l'océan noir et moutonneux et dont l'horizon obstinément hypnotique me dictait, sans que je le sache, qu'il faudrait, pour survivre que, comme vous, je le traverse un jour.

 

[1] Cet entretien réalisé chez Marguerite Yourcenar pour l’émission Apostrophes et diffusé sur la chaîne française Antenne 2 le 07 décembre 1979 est disponible, avec celui tourné en studio le 16 janvier 1981, sur INA Culture https://www.youtube.com/watch?v=zPso1bWh3DY.