Thierry Tillier : Déluges intimes - Economie de signes
De la visibilité du monde et de son inventaire… L'Europe méditerranéenne à l'échelle 1/18.000.000 – Des visages maquillés décontenancés – Une légende en couleur des sols du Luxembourg – Un croisé avec son épée, son fourreau, sa cape, sa cotte de maille et son bouclier – Une vamp en uniforme – Une plante, ses feuilles, sa fleur et son fruit – Des cyclistes – Le visage d'une aborigène – Des métiers à tisser – La taille d'une femme vissée dans un corset de cuir… Simulation et indifférence. Les figures, extraites de leur contexte d'origine, de leur espace et de leur temps par Thierry Tillier, semblent se côtoyer indifféremment sur ses étendues de papier blanc. Le visage apathique d'une aborigène peut avoisiner le corps provocant d'un mannequin élancé, et les photos d'enfance, se présenter sur de vieilles cartes politiques lithographiées… Pour l'artiste, il s'agit de n'avoir aucun a priori sur les images manipulées. Dans ce cas, on peut se demander ce qui distingue cette activité de ce que Baudrillard dénonce : un système qui réduit tout terme, toute figure, à l'indifférence et à la neutralisation en le rendant "parfaitement commutable" avec son voisin.1 Tout peut figurer dans les collages de Thierry Tillier, mais on n'y retrouve pas tout. A partir du moment où un "choix draconien"2 s'opère au niveau de la sélection des images, on s'éloigne forcément d'un système noyant les images dans la neutralité et l'indifférence. Cependant, il est vrai qu'aucune règle ne pourrait résumer ces critères de sélection... Saisie « » "Ce que l'oeil voit et convoite…", retranscrit Thierry Tillier, "…que ta main s'en saisisse", précise-t-il, retouchant sensiblement l'énoncé du mystique rhénan Jean de Brünn. Prescription individuelle à la vie et à son accomplissement par les sens ou douce ironie à l'adresse d'un spectateur extatique, figé dans la contemplation de cette esthétique outrancière ? Thierry Tillier sème en tout cas le doute face à ces images de corps "se décrivant eux-mêmes" et paraissant univoques. Il déterritorialise ces figures féminines, les expatrie, crée une rupture, un déchirement. Ces dernières générations de top-modèles aux attitudes maîtrisées et aux tirages illimités, retrouvent la singularité d'une découpe accidentelle, d'un défaut d'impression ou simplement la possibilité d'être altérées. On peut, à ce niveau, penser aux débuts du pop art (le pop anglais notamment), où certains artistes vont également développer une réelle "conscience du matériau choisi" et un "instinct de collecte"3 des images diffusées dans leur quotidien. C'est bien avec le pop art que l'on prend conscience de l'intérêt à intégrer l'imagerie érotique issue des mass media au sein de l'activité créative. Et c'est dans ce cadre que va se développer une recherche esthétique tout à fait spécifique participant d'une "déification dépassionnée de l'objet commun". Les collages de Tillier se formulent dans un aller-retour permanent entre la prolifération des signes et leur occultation partielle ou leur disparition. Ces effigies appliquées ou arrachées, renvoient naturellement aux affiches de Villegle et de Rotella, mais également aux collages de Schwitters. Pour Thierry Tillier, un collage n'est jamais achevé, certaines images peuvent toujours être ajoutées ou arrachées, et celui-ci peut même être complètement détruit au final. Tout est disponible, seule subsiste la possibilité de retravailler de manière incessante ces matériaux naturellement altérables. 1 J. Baudrillard, L'échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, (Coll. "NRF – Bibliothèque des Sciences Humaines"), 1976. 2 Propos de l'artiste lors d'un entretien. Août 2004. 3 M. Livingstone, Pop Art. A continuing History, Thames & Hudson, 2000, p.43.
Fiche
- Visuel
- Année
- 2004
Extrait
De la visibilité du monde et de son inventaire…
L'Europe méditerranéenne à l'échelle 1/18.000.000 – Des visages maquillés décontenancés – Une légende en couleur des sols du Luxembourg – Un croisé avec son épée, son fourreau, sa cape, sa cotte de maille et son bouclier – Une vamp en uniforme – Une plante, ses feuilles, sa fleur et son fruit – Des cyclistes – Le visage d'une aborigène – Des métiers à tisser – La taille d'une femme vissée dans un corset de cuir…
Simulation et indifférence.
Les figures, extraites de leur contexte d'origine, de leur espace et de leur temps par Thierry Tillier, semblent se côtoyer indifféremment sur ses étendues de papier blanc. Le visage apathique d'une aborigène peut avoisiner le corps provocant d'un mannequin élancé, et les photos d'enfance, se présenter sur de vieilles cartes politiques lithographiées… Pour l'artiste, il s'agit de n'avoir aucun a priori sur les images manipulées. Dans ce cas, on peut se demander ce qui distingue cette activité de ce que Baudrillard dénonce : un système qui réduit tout terme, toute figure, à l'indifférence et à la neutralisation en le rendant "parfaitement commutable" avec son voisin.1 Tout peut figurer dans les collages de Thierry Tillier, mais on n'y retrouve pas tout. A partir du moment où un "choix draconien"2 s'opère au niveau de la sélection des images, on s'éloigne forcément d'un système noyant les images dans la neutralité et l'indifférence. Cependant, il est vrai qu'aucune règle ne pourrait résumer ces critères de sélection...
Saisie « »
"Ce que l'oeil voit et convoite…", retranscrit Thierry Tillier, "…que ta main s'en saisisse", précise-t-il, retouchant sensiblement l'énoncé du mystique rhénan Jean de Brünn. Prescription individuelle à la vie et à son accomplissement par les sens ou douce ironie à l'adresse d'un spectateur extatique, figé dans la contemplation de cette esthétique outrancière ? Thierry Tillier sème en tout cas le doute face à ces images de corps "se décrivant eux-mêmes" et paraissant univoques. Il déterritorialise ces figures féminines, les expatrie, crée une rupture, un déchirement. Ces dernières générations de top-modèles aux attitudes maîtrisées et aux tirages illimités, retrouvent la singularité d'une découpe accidentelle, d'un défaut d'impression ou simplement la possibilité d'être altérées. On peut, à ce niveau, penser aux débuts du pop art (le pop anglais notamment), où certains artistes vont également développer une réelle "conscience du matériau choisi" et un "instinct de collecte"3 des images diffusées dans leur quotidien. C'est bien avec le pop art que l'on prend conscience de l'intérêt à intégrer l'imagerie érotique issue des mass media au sein de l'activité créative. Et c'est dans ce cadre que va se développer une recherche esthétique tout à fait spécifique participant d'une "déification dépassionnée de l'objet commun".
Les collages de Tillier se formulent dans un aller-retour permanent entre la prolifération des signes et leur occultation partielle ou leur disparition. Ces effigies appliquées ou arrachées, renvoient naturellement aux affiches de Villegle et de Rotella, mais également aux collages de Schwitters. Pour Thierry Tillier, un collage n'est jamais achevé, certaines images peuvent toujours être ajoutées ou arrachées, et celui-ci peut même être complètement détruit au final. Tout est disponible, seule subsiste la possibilité de retravailler de manière incessante ces matériaux naturellement altérables.