La Fête des Arbres

100 ans de protection des arbres et des paysages à Esneux et en Wallonie (1905-2005)

Le 21 mai 1905 se tient, à Esneux, non loin de Liège, la première Fête des Arbres organisée en Belgique… Journalistes, écrivains célèbres (Camille Lemonnier, Albert Mockel, George Garnir…), artistes renommés (Auguste Donnay, François Maréchal, Richard Heintz…) et ténors de la vie politique : tous rendent hommage à la beauté de l’Arbre, symbole vivant d’une nature menacée par l’essor industriel. La Fête des Arbres gagne tout le pays, suscite les premières lois protégeant les arbres et les sites. Et inspire, durant 40 ans, l’action inébranlable de Louis Gavage, grande figure de la conservation de la nature. Dans la foulée du Centenaire de la Fête des Arbres, Esneux retrouve l’élan des précurseurs en restaurant les sites majeurs, dont la Boucle de l’Ourthe, aujourd’hui classée « Patrimoine exceptionnel » de Wallonie. Des pionniers à Natura 2000, le roman de la nature aux portes de Liège…

Fiche

Année
2005

Extrait

Préambule

Peu avant de se fondre dans la Meuse, aux portes de Liège, l’Ourthe venue d’Ardenne s’offre à Esneux une dernière escapade sauvage, son chant du cygne. Mais quelle échappée belle ! Une boucle de six kilomètres, bordée de prairies émeraude au cœur d’un cirque rocheux ensauvagé : l’Arcadie au seuil de la Cité ardente…
De la Roche-aux-Faucons, la vue plonge cent vingt mètres plus bas sur la courbe voluptueuse de la rivière, qu’encadre un site grandiose, aux vues étagées en plans sans cesse renouvelés. Car la vue rebondit sur la presqu’île de Ham, vaste promontoire enceint des eaux lentes de la rivière. Seul le relie à la terre ferme un mince pédoncule montueux, Beaumont, le bien nommé, gardé par les vestiges d’une tour de guet. Passé ce gardien du seuil, on accède au cœur de la presqu’île : Ham, une poignée de maisons au charme d’antan presque intact, quelques bouquets d’arbres émergeant au sein de vastes prairies suspendues dans le ciel, et çà et là, de belles échappées sur la vallée…
Un site ancré dans la quiétude des temps anciens. Et le souvenir de la Belle Époque. En ce temps-là, séduits par la splendeur des lieux, quelques artistes, grands manieurs de pinceaux et de plumes, élisent Ham comme résidence estivale.
Le sculpteur Oscar Berchmans s’y établit, bientôt rejoint par son frère Émile, artiste-peintre, et Léon Souguenet, fringant directeur du Journal de Liège. Autour d’eux gravite une bande de joyeux drilles, portés à l’escapade champêtre et aux déjeuners sur l’herbe. Une véritable académie miniature des Arts & Lettres !
En 1904, Camille Lemonnier y écrit un roman, L’Hallali. Olympe Gilbart, de La Meuse, y taquine la truite, quand ce n’est pas le ‘martin-galet’, poisson imaginaire offert à la quête de ces pêcheurs d’étoiles, ou la ‘lurcette’, petit fauve fabuleux hantant les fourrés de Beaumont, que Maurice des Ombiaux mettra en scène dans une nouvelle. Georges Virrès, le chantre de la Campine, côtoie Charles Delchevalerie, poète délicat et journaliste. Edmond Picard a déjà fondé son Académie des Lettres. Discret, Auguste Donnay contemple l’architecture tourmentée des pommiers de Ham et s’établit dans le hameau voisin de Méry pour accomplir son Œuvre.
Jean d’Ardenne a déjà célébré les splendeurs du pays. Et défrayé les pages de… La Chronique, journal bruxellois d’où il tire toujours de furieuses salves contre les « vandales » saccageant les paysages ! Est-ce à Ham qu’il rencontre Léon Souguenet ? En tout cas, l’alliance de ces deux remuants journalistes va entraîner la ‘Bande de Ham’ dans une mémorable croisade : convertir les foules encore passives à la mystique de la Nature. Et des Arbres.
Par le seul pouvoir de la parole, ils vont opposer la vigueur de l’Arbre à l’essor anarchique d’une industrie broyeuse de beauté. Et jeter les bases de la conservation des sites.
Le 21 mai 1905, ils plantent à Esneux le premier d’une longue lignée d’arbres. Relayée par des campagnes de presse orchestrées par Souguenet, qui ne va pas tarder à créer le Pourquoi Pas ?, le petit bourg aimante l’élite des écrivains et artistes: il en vient de Liège et du Hainaut, de Bruxelles et de Campine, d’Anvers et d’Ostende !

NUM
Xavier Wurth, Barrage sur l’Ourthe [Esneux, Lhonneux]

NUM
Richard Heintz, Ham, 1918

Entre 1905 et 1910, Esneux devient la « Mecque des Arbres ». Et essaime à travers tout le pays : Liège, Huy, Spa, Verviers, Anseremme, Frameries et Colfontaine, Boitsfort et Lummen, et jusqu’à Anvers et Wenduyne… Un peu partout, on verra de joyeux prosélytes « prêcher la bonne parole, juchés parfois sur un tonneau, devant des foules ébahies de ce qu’on se donnait tant de mal pour sauver des arbres ».
Ces Fêtes des Arbres à Esneux sont le premier manifeste concerté d’une élite bourgeoise et bohème, en faveur de la conservation de la nature : le premier geste, symbolique mais concret, posé par des écologistes avant la lettre. Dans leur sillage s’organise le mouvement associatif, sont votées les premières lois en faveur des sites, se crée la section ‘Sites’ de la Commission royale des Monuments...
Après la Première Guerre mondiale, Louis Gavage ranime la flamme : il recrée les Fêtes des Arbres et en ravive l’esprit : entre 1924 et 1965, à la seule force du poignet – il écrit des milliers de missives – Gavage, et l’Association pour la Défense de l’Ourthe qu’il fonde en 1924, vont préserver la Boucle de l’Ourthe, la ‘Colline inspirée’, et contenir la ruée des carrières et fours à chaux, barrages, pylônes et lotissements qui menacent l’Ourthe liégeoise.
Aujourd’hui, la protection des sites et la conservation de la nature ont acquis droit de cité. Il y fallut le concours de quelques fortes personnalités : artistes et journalistes, hommes de science et… industriels éclairés. Certes, des merveilles ont été perdues, mais l’âme est sauve : la Boucle de l’Ourthe, dont les sites classés sont repris dans la liste du ‘Patrimoine exceptionnel de Wallonie’.
Le Centenaire de la première Fête des Arbres est l’occasion rêvée pour ressusciter quelques figures marquantes du siècle écoulé, acteurs déterminés, et déterminants, d’un siècle de combats pour protéger les sites et la nature en Belgique.
Occasion d’autant plus belle, que ce Centenaire annonce un projet innovant de mise en valeur des sites associés aux Fêtes des Arbres : en restaurer les richesses naturelles, c’est retrouver l’esprit même des pionniers, éclairé par les connaissances scientifiques qu’ils ont contribué à susciter par leurs turbulentes initiatives…