Petite chanson d'exil

Des nouvelles de la ville

Une des nouvelles publiées pour le 25e anniversaire de la création de Louvain-la-Neuve

Fiche

Année
1997
Édition
Quorum

Extrait

Petite chanson d'exil — Par ici, Excellence. La petite blonde du protocole n’est pas mal, se dit Fernando avec un brin de regret à l’idée du parcours du combattant qui l’attendait. Une heure plus tôt, à Zaventem, il avait foulé le sol belge avec délices. Quinze ans qu’il n’était pas revenu à Lovaina. La ville découverte depuis la nationale, à la plongée vers le centre urbain, n’avait pas changé, de loin. Il n'aurait pas le temps de la revoir de près. Sans conviction, il avait épluché l’ordre du jour dans l’avion, au dernier moment, comme toujours. Séance de travail avec le recteur, le prorecteur (tiens ? ils avaient des prorecteurs maintenant), deux ou trois professeurs, un administratif chargé du développement et un chef d’entreprise. Déjeuner à la salle Ladeuze. Visite du Cyclotron (dire qu’en cinq ans à Louvain-la-Neuve je n’y avais pas mis les pieds) et du Parc scientifique (j’aurais préféré essayer de retrouver mon kot et la Casa de las Peñas). Il se trouvait dans le hall d’entrée des Halles universitaires, entouré de sourires et de paroles de bienvenue. Jaíme, pourtant son attaché le plus efficace, rocaillait une réponse bourrée de fautes de français. Il s’en amusait en regardant distraitement le plan d’eau central. Les lieux, la demi-pénombre, l’odeur même lui étaient curieusement familiers, comme quittés d’hier. Tout le monde se dirigea vers les ascenseurs menant au rectorat. Ah ! le bureau des étudiants étrangers d’où j’étais chaque année foutu à la porte parce qu’il me manquait toujours des papiers. Il se souvenait de la tête d’une employée à qui il avait ramené une rose parce qu’elle avait obtenu un document pour lui. Où étaient tous ces gens ? À la retraite ? Les quelques visages qu’il apercevait ne lui disaient rien. À part celui d’un professeur de sa faculté, qu’il avait connu assistant et qui vint mollement lui serrer la main. Le moins qu’on puisse dire est que lui-même avait fait du chemin après sa brillante maîtrise et son doctorat abandonné (il avait tenu trois ans tout de même) sur les relations entre l'Église catholique et les Indiens des Andes. La barbe à la Che Guevara du jeune sociologue avait bien disparu (la porte de son kot était tapissée de la fameuse affiche : un messie en uniforme avec une étoile sur le béret). Il se consolait en se disant avec ironie et amertume que le Che, dont on venait de retrouver les ossements en Bolivie trente ans après sa mort, n’avait plus de barbe, lui non plus.