Une semaine de vacance

C’est fou ce que ça peut distraire, l’ennui…

Tenez, cette année, pour les congés, j’avais décidé de m’ennuyer. Seul, sac au dos, sur les routes monotones de la Creuse, je pensais transformer les vacances en vacance, ne trouver que le vide… Et puis, entre la saga des rencontres insolites et la ronde des souvenirs, j’ai découvert un vide étonnamment plein…

Ennuyeuse, la Creuse ? Et si, au terme de cette semaine de vacance, je parvenais à me surprendre… à vous surprendre ?
 

Fiche

Visuel
Année
2001
Édition
Luc Pire

Extrait

Cette année, pour les congés payés, j’ai décidé de m’ennuyer. Si l’on ne s’ennuie pas, le temps passe vite, et deux semaines, c’est si court ! Mais s’ennuyer, c’est ruminer le temps, le malaxer, l’étirer comme une pâte, comme une gomme extensible. C’est profiter de chaque grain de sable.

C’est pour cela que je préfère ne pas parler de vacances au pluriel, un mot qui – tout comme le mot loisirs évoque précisément l’absence de loisir, d’oisiveté – un mot, donc, qui renvoie lui aussi à un temps plein, meublé d’activités riches et variées, précisément le contraire de la vacance, c’est-à-dire du bienheureux vide.

J’ai toujours admiré cette racine, mère d’une riche famille : vacuité (quelle rime merveilleuse à fatuité !), vacuole (l’un des constituants de nos cellules, donc de notre être, serait le vide…), vacation, vacant, sans oublier ce « vacuum » étrange que je trouvais, enfant, sur certains produits emballés sous vide  ou encore, si ma mémoire est bonne, sur ces ingénieuses boîtes en matière plastique produites par une firme américaine au nom imprononçable spécialisée dans la démonstration à domicile.

C’est toujours avec une étrange sensation de joie et de puissance que j’actionnais, suivant à la lettre les recommandations de la vendeuse, l’élastique fontanelle du couvercle, produisant, par une adéquate pression des pouces, la libération, dans un souffle vaguement incongru, d’une certaine quantité d’air remplacée ipso facto par ce vide censé protéger les aliments de toute corruption due à l’oxygène, un gaz comme chacun sait nécessaire à la respiration de l’être humain, certes, mais aussi – toute médaille a son revers – propice à la putréfaction de ses nourritures terrestres.

La nature a horreur du vide… Grâce aux produits de la gamme Tupperware, n’importe quelle ménagère armoricaine, la moindre bonniche créole, le plus infirme vieillard nationaliste peut pourtant, par une simple pression des pouces, produire à volonté ce miracle – à l’échelle, il est vrai, d’une boîte de matière plastique. La fin du monde : le Créateur pressant des deux pouces, quelques secondes à peine, sur le couvercle de la voûte céleste…

Cette année donc, j’ai décidé de m’ennuyer. Depuis trois ans, je divise ma vacance en deux, pour épargner du temps et de l’argent. Je pars une semaine en juin et une autre en septembre. C’est moins cher, c’est plus vide, et je répartis mieux mes plages d’oisiveté.

J’ai décidé voici trois ans, après le départ d’Odile, de reprendre les randonnées sac au dos que j’effectuais avant notre mariage, à l’instigation d’un père très « scout toujours » qui estimait à juste titre que « les voyages forment la jeunesse ». Je me suis fixé un programme exigeant : parcourir toute la France à raison d’un département par semaine de vacance (donc deux par an) ; cela devrait me prendre une quarantaine d’années. J’ai en effet accordé d’emblée son indépendance à la Corse, décidément excentrique – et qu’il s’agisse de la Haute ou de la Basse, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ; mon champ d’investigation se limite ainsi aux seuls départements de l’hexagone. J’ai commencé à trente-cinq ans ; mon projet est donc théoriquement réalisable. En fait, j’aurai visité soixante et un départements lors de ma retraite, qui surviendra le jour de mes soixante-cinq ans, le sept juillet deux mil vingt-six. Ensuite, je pourrai consacrer plus de temps aux voyages et, si ma santé le permet, boucler ce tour de France sac au dos.