Y a pas photo

La vie est-elle soluble dans l’écriture ? La fugacité des choses, le sentiment du temps qui passe, sont-ils d’abord une question de regard ? Vaut-il mieux capturer la passion avec des mots ou au 125e de seconde ? Voici vingt-cinq textes drôles, tendres ou féroces, émouvants et engagés. Véritable manifeste pour la liberté d’expression et le droit à l’image, ce recueil révèle la beauté des choses anodines au voyeur ému qui sommeille en nous.

Fiche

Visuel
Année
2006
Édition
L. Wilquin

Extrait

Ca m’a refroidie comme si on m’avait giflée. Je ne faisais de mal à personne, je remontais le souterrain de la gare du Nord, ce couloir au carrelage jaune, où alternent les remontées vers les quais et les brasseries vaguement sordides, quand j’ai vu ce néon magnifique, une gaufre jaune posée en losange et quadrillée de la même couleur, avec au centre un toupet de Chantilly bleu virant vers le mauve, et en dessous, « Gaufres », en rouge et en parallèle à l’oblique de la gaufre. C’est tout juste si cette gaufre ne me faisait pas un clin d’œil clignotant. Enseigne lumineuse, néon, bordel : appel au vice. Je ne résiste pas. Je fouille mon sac, je sors le Praktica, je le déhousse, je le règle sur « personnage » (ce beau petit néon mérite tous les égards), je m’en approche sans entrer dans la brasserie, comprends-moi, c’est un lieu ouvert sur le passage, mais je ne franchis pas la ligne de démarcation imaginaire qui en délimiterait le seuil, pas besoin, l’enseigne est à deux mètres du sol, au bord du mur, côté va-et-vient, je ne dérange personne, j’allume l’appareil, je règle la lumière sur « sans flash », et je prends la gaufre.