Le Docteur Bulowsky n’y allait pas par le dos de la cuillère.
– Tu ne sais pas dire non parce que tu n’existes pas. Et ta
trop belle gueule n’arrange rien.
Ceusses en blouse blanche ont l’art de la formule. Sur ce point,
Bulowsky n’avait pas tort. Plus je vieillissais, plus ce problème
prenait de l’ampleur. Depuis mon arrivée dans cette belle
institution, je ne vous dis pas le nombre de personnes qui
m’avaient fait faire n’importe quoi, y compris en s’acharnant
sur mon enveloppe corporelle. Quasi tout le monde : femmes,
hommes, ados, docteurs ou patients, infirmiers, nettoyeuses
et hommes de main étaient au taquet ! Les plus entreprenants
me turlupinaient les attributs en salivant sur mon torse, tandis
que les plus réservés se chipotaient à distance en m’épiant. De
quoi me motiver à entreprendre un traitement de choc avec
le Docteur Bulowsky. Le but, dans un premier temps, était
de passer d’un oui rampant à une espèce de non peut-être,
avant d’envisager l’envol final vers un refus catégorique. Il m’a
proposé comme méthode de travail une thérapie béhavioriste
à l’instar de celles pratiquées pour rééduquer les gays, où, par
exemple, un psychologue averti obligeait un inverti à coucher

avec sa propre mère afin qu’il découvre ce qu’est une vraie
femme.
Une autre alternative intéressante, selon mon docteur au visage
de poupon rasé de près, consistait à atteindre une pseudo
formule bartlebyenne, en poussant l’audace du refus jusqu’à
une sorte de formulation : j’aimerais mieux pas. Pour ce faire,
il imaginait procéder de la demande la plus douce à l’ordre le
plus brutal. Explorer des tas de mises en situation, en poussant
le curseur vers des sommets horrifiques si nécessaire. Il s’agissait
de projeter la bête au-delà de ses retranchements afin de
m’amener à produire un non authentique. Ceci sans crainte de
ne plus être aimé.
C’était cela le big problème.