Beau comme une éclipse (roman)

Jeune homme naïf et rêveur, Albien Bienfait est tiraillé entre une mère bigote et un oncle fantasque. Lorsque celui-ci parvient à le convaincre qu'il est un winner, un gagnant, Albien accepte de partir pour le bout du monde : un tout petit pays d'Afrique, le Swaziland. Mais son périple - s'il en est un ? - n'est pas de tout repos.

De rencontres surréalistes en aventures parfois peu glorieuses, rien n'est épargné au doux philosophe pendant ses tribulations rocambolesques. Balayant les moqueries, Albien, porté par l'espoir fou de retrouver un amour d'enfance, va affronter les remous de la vie avec un optimisme désopilant. Jusqu'à la révélation finale où il découvrira qui il est vraiment.

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Fiche

Visuel
Année
2019
Édition
MEO

Extrait

Commencèrent les longues et laborieuses démarches pour s'inscrire dans différents organismes censés remettre le travailleur sans emploi sur les rails et l'empêcher de devenir un boulet pour la société. La première proposition faite à Albien fut un coaching d'une vingtaine de séances qui « boosteraient son potentiel ».

- Avant ce stage, je ne pourrais que vous conseiller d'apprendre à rédiger une lettre de motivation convenable, signala l'employée qui l'avait déjà rencontré lors d'un premier entretien.

Et comme le jeune homme demeurait hébété :

- Une lettre avec vos motifs, vos aspirations, vos ambitions profondes, vos atouts...

- Je n'ai ni aspirations ni ambitions, répondit-il. Et en vérité aucun atout ! Mais plutôt de l'aversion.

- Aversion ?

- L'hydraulique me donne mal au coeur, une sorte de mal de mer. Je préférerais, dans la mesure du possible et parmi les voies que vous me conseillerez d'emprunter, éviter celles de l'eau et demeurer sur la terre ferme.

- Il existe quantité de postes disponibles ailleurs que dans le domaine de l'hydroélectricité ! s'exclama l'employée après avoir jeté un coup d'oeil sur sa lettre de licenciement.

- J'en suis très conscient. Mais afin que nous ne perdions pas de temps, il m'a semblé judicieux de préciser ma position.

- Votre position ? Mais vous n'êtes pas en « position » ! Vous devez trouver un emploi, un point c'est tout !

- Ma compagnie vous est-elle si désagréable, chère madame ?

Elle soupira.

- Il est incroyable !

Elle s'agita. N'importe qui aurait senti la boule de nerfs prête à exploser. N'importe qui sauf l'impassible Albien.

- C'est la crise. En êtes-vous conscient ?

- Crise de quoi ?

- La crise économique ! Les entreprises ferment les unes après les autres, des familles entières se retrouvent à la rue, les acquis sociaux sont bafoués, le monde s'écroule et vous... ! Vous !

- Vous ?

Il la sentait sur le point de perdre pied.

- VOUS, vous êtes là à me fixer d'un regard innocent ! Il faut lutter contre l'adversité, clamer notre révolte ! On n'est plus dans le monde de Oui-Oui !

- Oui oui, chère madame.

- Bon, je vous laisse une petite chance. Vous avez dix minutes pour rédiger un courrier de motivation et nous verrons si vous êtes capable de mettre en relief votre valeur ajoutée. Sinon je serai dans l'obligation de vous inscrire sur une liste - hélas déjà très longue ! - de candidats à notre stage CV et motivation.

Elle tendit à Albien un bloc de feuilles en plongeant son regard dans le sien :

- N'oubliez jamais votre modus operandi !

- Vous plairait-il de répéter, chère madame ?

- Mo-dus ope-ran-di !

Silence.

- Arrêtez de sourire de cette manière ! Vous rendez-vous compte qu'il me suffit d'un geste, dit-elle en montrant le téléphone, pour prévenir le sanctionnateur ?

Albien blêmit. Le sanctionnateur !

- Allons, faites pour le mieux, on verra bien !

Dix minutes plus tard, quand elle revint vers lui, il était toujours penché sur ses écrits. Sur une première feuille, il s'était empressé de torcher une vague lettre de motivation, avec les expressions apprises dans l'hydraulique. Sur la seconde, par contre... Et par mégarde, ce fut celle-là qu'il montra.