Simon, l'enfant du 20e convoi (roman jeunesse)

Simon a onze ans lorsque sa famille et lui sont arrêtés par les nazis en 1943. Des premières brimades antisémites aux déportations vers les camps, ils subissent l'oppression et l'humiliation. Lorsque le 20e convoi à destination d'Auschwitz s'ébranle, le garçon, seul, parvient à s'en échapper. Livré à lui-même, caché de famille en famille, il perd peu à peu tout espoir de retrouver les siens. À la fin de la guerre, il apprend la terrible vérité sur les chambres à gaz dans lesquelles ont péri, comme tant d'autres, sa mère et sa sœur. Les retrouvailles avec Serge, un résistant rescapé d'un autre camp, vont lui insuffler la force et le courage d'affronter sa nouvelle vie.

Récit librement inspiré par l'autobiographie de Simon Gronowski.

"Simon, l'enfant du 20e convoi" - Prix du roman historique jeunesse 2009

http://www.francoisepirart.be/biblio_roman_simon.html

Fiche

Visuel
Année
2008
Édition
Milan

Extrait

La lourde porte coulissante se referma sur nous. Son grincement, suivi d’un claquement sourd, me fit sursauter. Il y eut le bruit métallique du verrou, puis plus rien. Enfin, le train se mit à avancer par à-coups. Ballotté de tous côtés, je sentais sur mes épaules les mains de ma mère. J’éprouvais des difficultés à respirer. Tous ces gens autour de moi, pressés les uns contre les autres, qu’on avait jetés dans un wagon à bestiaux… Le nôtre – je le savais – était suivi par huit wagons identiques, aussi crasseux et sombres. Qu’allions-nous tous devenir ?

Je me haussai sur la pointe des pieds. Ceux qui m’entouraient, et que je ne connaissais pas, avaient la chance, eux, d’être grands. Moi, j’avais seulement onze ans. Malgré mes efforts, je ne distinguais rien que des bras, des épaules, des dos. Une femme se mit à sangloter. Quelqu’un la fit taire. À ce moment-là, je commençai vraiment à avoir peur. Si elle avait ri, ou si une plaisanterie avait fusé, je n’aurais pas éprouvé cette angoisse, soudain si présente, que nous partagions tous sans doute. Une faible lueur provenant d’une lucarne, seule ouverture vers l’extérieur, parvenait à peine à éclairer nos visages. La femme se remit à pleurer, bruyamment. D’autres gémissaient. Je serrai très fort la main de ma mère. Nous ne parlions pas. J’avais envie de m’asseoir, mais il n’y avait aucun siège. Dehors, la nuit tombait. 19 avril 1943… « Tu vois, Simon », avait dit ma sœur Ita, un mois plus tôt, en ce mercredi terrible dont je me souviendrais toujours, « le soleil est là, mais il n’est pas pour nous. » Pas pour nous, Juifs…

Je tirai ma mère par la manche :

- J’ai soif, murmurai-je.

- Sois patient, Simon.

À l’instant même où elle prononçait ces mots, on entendit un bruit bizarre, puis des voix :

- Il a sauté ! Il a sauté !

Un jeune homme avait réussi à se hisser jusqu’à la lucarne et à se glisser, les pieds devant, dans l’étroite ouverture. Comment avait-il osé ?

Le train continuait à rouler. C’était interminable. Et il faisait si sombre… Seule une toute petite lucarne jetait un rai de lumière. De temps en temps, des soubresauts nous secouaient, nous forçant à nous accrocher à n’importe quoi : un bras, une jambe, une jupe. Moi, dans le recoin où j’étais tapi, je pouvais m’appuyer à la paroi. Parfois, le long convoi avançait avec une telle régularité que son ronronnement m’assoupissait. Mais je ne voulais pas dormir ! Je tentai de m’asseoir sur le sol, couvert d’un peu de paille. Impossible. Nous étions beaucoup trop serrés. Je serais piétiné, écrasé ! Je suffoquais. Ma gorge était sèche, j’avais très soif et, en même temps, envie de me soulager.

- Maman, demandai-je, je voudrais regarder par la lucarne.

Ma mère acquiesça. Bousculé de toutes parts, je me frayai un passage entre les gens, les bagages et la paille qui encombraient le wagon. La lucarne était très haute. Je ne pouvais y accéder.

- Je vais t’aider, petit, me dit un homme.

Il me prit sous les bras, me souleva. Je vis les arbres défiler devant moi. Le train n’allait pas très vite. L’homme me reposa sur le sol, et je rejoignis ma mère dans la pénombre du wagon.

La fatigue m’envahissait. Pour lutter contre le sommeil, je me mis à réciter les chiffres de un à mille, dans le sens inverse. Mes pensées allaient dans toutes les directions. Huit-cent quatre-vingt-neuf, huit-cent quatre-vingt-huit, huit-cent quatre-vingt-sept… Combien étions nous dans ce train ? Et ce type qui avait réussi à sauter, qu’était-il devenu ? Je l’imaginais fuyant dans l’obscurité, se cognant aux arbres, se tordant les chevilles sur les chemins pierreux, s’arrachant les vêtements et la peau aux barbelés des prairies, jetant un coup d’œil craintif derrière lui pour s’assurer qu’il n’était pas poursuivi, s’arrêtant un moment pour reprendre son souffle avant de poursuivre sa course éperdue...

Ma mère s’était mise à chantonner, comme pour elle-même. Je n’osais plus lui parler. Si au moins Ita avait été là ! Ma sœur avait sept ans de plus que moi. Malgré notre différence d’âge, nous nous entendions très bien. Je fermai les yeux. Combien de temps encore ce maudit train allait-il rouler sans que nous puissions boire, manger, faire quelques pas ?

Je me remis à compter, de plus en plus vite. Au moins, ce petit jeu m’occupait. J’avais multiplié la difficulté en recommençant ma série de nombres par le chiffre deux mille. Tout en comptant, je ne pouvais m’empêcher de repenser au type. À celui qui avait eu l’audace – la folie ? – de s’échapper… Et c’est à l’instant précis où je prononçais tout bas le chiffre mille deux-cent trente-quatre qu’une idée extraordinaire me traversa l’esprit.