Il est sorti de la fraîcheur de la grande maison. La porte d’entrée s'est refermée. Les portes battantes du hall ont joué lentement dans l’air, allant et venant dans des mouvements d’ailes et les grincements lents et ondulants des ressorts qui se tordent à n’en plus finir. La porte de l'immeuble s'est refermée en un claquement immédiatement suivi de cliquetis familiers. Dehors, le soleil brille très haut dans le ciel. En face, deux hommes sont affairés sur une auto dans l'entrée du garage. Ils discutent de leur travail, mais ce que lui entend, c'est le parler de là. Ils remontent l'avenue ensoleillée et avancent à l'ombre des arbres dans le piaillements des oiseaux qui s’ébrouent dans la pleine lumière de ce matin d'été. Il marche d'un pas vif, joyeux et décidé. Il ne sait pas qu'il marche. Il se dirige vers un seul but, cinq gros jetons noir au creux de la main, cinq jetons que sa grand-mère lui a donnés, elle qui n’a pas le temps d’aller jouer. Les jetons sont entaillés sur une de leurs faces d'un sillon qui les traverse d'un trait, formant un creux bien droit dans leur diamètre. Ils sont noirs, d’un plastique lourd et mat qui pourrait absorber la moiteur de sa main. Sa main les contient tout juste, ces cinq disques sur lesquels ses doigts sont refermés. C'est tout ce qui l'entraîne dans la lumière de l'été. Il avance de ses pas courts et radieux à l'ombre de pas plus grand que les siens. Avec confiance il avance main dans la main dans l'air chaud de l’été, il avance avec la joie d'un ailleurs indicible, cette joie qui lui appartient à lui seul, intense d’insouciance dans la plénitude de cet instant qui s’offre à lui. Sa joie est pénétrée d'une solitude incomparable qui remplit tout son être.
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© Frédéric ROLLAND - SACD 2022