Molly au château

Théâtre/récit

Après les championnats du monde où son équipe s’est classée deuxième, Molly alias Marie-odile Savard, descend de vélo et prend quelques semaines de vacances à New-York avec son amoureux Pierrot… Histoire de se changer les idées et repartir de plus belle. Un matin, elle reçoit un coup de téléphone de son entraîneur. Il a reçu les résultats des tests sanguins et d’urine effectués avant la coupe du monde… et Molly est « positive ». Le ciel lui tombe sur la tête. Elle décide de tout plaquer. Vélo, boulot et Pierrot. Mais que va-t-elle faire de sa vie désormais ? Elle avait bien rêvé de parcourir les villages du monde au volant d’un bibliobus. Mais pas de place pour elle. En feuilletant les petites annonces, elle tombe alors sur une offre d’emploi tentante…

Fiche

Visuel
Année
2007
Édition
Lansman

Extrait

On est parties au départ. J’ai laissé filer un peu, pour voir c’qu’elle racontait, l’autre que j’pouvais pas saquer. Ell’f’sait mine de rien, alors j’ai fait pareil. J’suis restée dans la masse, histoire de pas décoller trop tôt et m’casser les reins. Au trentième kilomètre, l’p’loton était en rythme de croisière, alors, après Antibes, j’ai attaqué ni une ni deux, mais fallait prévoir, y en a cinq qu’on emboîté. Deux anglaises, une all’mande et la teigne. J’ai décidé d’faire rougir les treize dents et j’suis passée au grand plateau. Fallait pas baisser l’rythme, à c’coup-là, si j’craquais, c’était pour rev’nir en queue d’p’loton, la défaite amère. J’t’nais trop à c’te victoire. A Nice, l’all’mande a disparu. Pas vu, pas pris. A quatre, on était. Les deux anglaises étaient solidaires, méchamment. Alors, on a pas pu faire autrement, Laure et moi, que de s’liguer contre elles. J’priais pour qu’on les sème au plus vite, histoire de régler not’ duel, elle et moi. René criait dans l’oreillette, allez les filles, allez les filles. J’ai baissé l’volume. On pédalait. A côté d’la falaise, à des centaines de mètres de la mer, on filait. A Beaulieu, j’ai mis l’turbo et une des anglaises, celle avec les ch’veux verts, a commencé à grimacer. Elle est cuite, j’me suis dit. Cinq kilomètres après, l’autre anglaise, celle avec les ch’veux bleus, a déclaré forfait. Y avait plus que la teigne et moi, quand on est entrées à Monaco. J’l’ai r’gardée, derrière moi et c’était clair qu’j’allais pas lui faire de cadeau. J’ai mis la grande soucoupe et à chaque fois qu’elle menaçait d’doubler, j’bloquais la route. Elle a crié dégage, Molly, c’est mon tour, j’ai roulé plus vite. « J’l’dirai à René », alors j’ai arraché mon oreillette et j’té dans l’ravin, que j’m’en foutais des consignes. Et j’ai continué, mais c’est qu’elle’suivait la méduse et furieusement. Une grande championne, j’ai pensé. Si elle était pas si teigne, j’aurais p’têt pu… Pu quoi ? Ben j’sais pas, pu apprendre que’que chose d’elle, échanger, ou progresser… C’tait une voix dans ma tête, une pensée à écarter d’urgence, ma conscience ou p’têt la voix d’Titine, mon amie perdue qui parlait. J’ai essayé d’me concentrer sur aut’chose mais ça a continué : Qu’est-ce que tu vas gagner, à t’fout’hors-la-loi ? A prouver qu’j’ai raison. Mais tu l’as d’jà prouvé, Molly. T’as enl’vé la victoire hier et là, t’as m’né une échappée d’la mort. La pouf te devra la victoire. Te mets pas hors jeu, Molly. Ca m’arrache la tronche d’la laisser gagner. Fais comme on t’a dit, Molly, et à Athènes, tu leur en foutras plein la vue. On arrivait à Roquebrune. C’tait chiant. Vraiment chiant. Des jours entiers où j’l’vais suppliée d’me parler, Titine et v’là qu’c’était maint’nant qu’elle avait choisi. Alors, il a bien fallu que j’libère la route. On était en plein soleil et j’ai dirigé l’vélo vers la droite. La teigne allait m’doubler, donc au moment où j’avais enfin accepté d’la laisser filer d’vant, y a eu comme un grand choc et mon vélo a quitté la route, il a dévalé la falaise, j’ai foncé dans les pierres, les ronces, pis j’suis tombée et j’ai roulé, roulé, roulé. Ca f’sait mal à la tête, très mal et à la poitrine, comme une envie d’pleurer, sauf que j’pouvais plus bouger. J’ai pensé M’dame de Chavernay voulait qu’j’finisse en beauté, c’est réussi. J’me suis dit aussi qu’c’était con d’avoir j’té mon oreillette, que personne me retrouv’rait, que Laure allait gagner et qu’après tout ça m’est égal, j’ai pensé à mon enterrement à Saint-Péravy-la-Colombe, à une foule qui pleurerait, à tout le monde qui dirait du bien de moi et peut-être que Pierrot regrett’rait de pas m’avoir app’lée, j’ai arrêté d’penser parce que j’avais très mal à la tête et au cœur et qu’il faisait tout noir et qu’j’entendais comme un orage et toujours la voix, cette voix dans ma tête qui disait tu vas t’en sortir, Molly.