Poussière de Toiles
Fiche
- Année
- 2008
Extrait
Samy : J’glandais chez nous, comme tous les samedis quand mes vieux ont foutu le camp, lui à trimer comme un esclave dans son garage de merde et l’aut’là, ma mère à briquer les ménages et à se faire reluquer le cul par des vieux qu’ont plus la force de se tripoter. Y avait rien à la télé que des dessins animés niaiseux pour enfants qui verront jamais la crasse, rien dans le putain de frigo à part d’la bière et d’la crème cont’les vergetures, le chat y l’était déjà crevé que je pouvais même pas m’amuser à lui jeter des boîtes de conserve et lui brûler les moustaches, j’glandais, j’glandais comme une pomme qu’attend de tomber d’un arbre et que ça dure et que ça va durer encore et qu’à la fin t’en peux plus. Y fallait que je bouge mais pour aller où quand t’as personne qui t’attend ou qui veux de toi, tu restes collé dans ton froc, dans ta pisse, dans ton jus comme un chien galeux au bord de l’autoroute qu’a été jeté pour que ses cons de maître y partent en vacances, qui attend comme un crétin et qui sait pas qu’y va finir écrasé. Dans la maison d’à côté, j’entendais de la musique, un truc vachement beau, mélange de gingle bells et l’hymne national que ça me donnait envie de me lever et de partir vers chez eux, où la maison elle blinque comme une horloge, où la voisine, Amanda, elle est rousse et belle et toujours moulée dans des habits incroyables que le soir j’y pense et que ça me fait des choses, que son gars il est toujours fringué en gris comme un sérieux, que ça a rien à voir avec mes vieux qui sont fatigués par les ennuis, comme des spaghettis mous que la terre veut plus avaler. La maison d’à côté, j’y avais jamais mis les pieds. Parce que c’est pas le même monde et que nous, on a beau habiter ici depuis toujours, personne nous parle, même si chacun nous zieute, personne nous parle, pourtant on est comme tout le monde qui mange, qui chie et puis qui pète avec une vie, de la misère, une télévision, un téléphone portable et puis ta gueule. Bref, j’ai eu l’envie de passer ma tête à côté, au-dessus du mur pour voir comment c’était la vie chez nos voisins qui sentent le bonheur et de traîner un peu le temps que mes vieux y ramènent leurs grolles dans cette putain de baraque. J’sonne. Y a une tête qui regarde par la fenêtre. C’est ma rouquine. Elle me reluque. Je la regarde et je gesticule. Elle décide de pas ouvrir. Pourtant elle avait dit que j’avais une tête de gentil et qu’un gars comme moi elle en voudrait bien un dans son ventre. Alors je sonne plus fort au cas où la grognasse, elle aurait pas compris que je veux entrer. Rien, toujours. Je laisse mon doigt appuyé tant que ses écouteurs y z’explosent et je crie, je t’ai vue sale pute, t’es là, ouvre. Elle répond toujours rien. Je suis pas un enfant violent, ça je suis pas, j’ai parfois le feu au cul et à la tête, mais violent je suis pas. Sauf si tu me cherches. Si tu me cherches, tu me trouves, comme le morpion collé au caleçon, tu me trouves tout de suite et cette poufiasse, elle m’avait cherché, trop cherché, tous les jours que je la matais quand elle rentrait avec les affaires du pressing, puis les courses dans sa caisse rouge, quand elle riait sur le pas de la porte en se frottant au con couleur muraille, quand elle laissait sa rouquinerie pendre sur ses épaules. Peut-être j’ai neuf ans, mais faut pas me prendre pour un crétin. Pas me prendre du tout. Alors, moi, j’ai sauté par-dessus le mur. Volé même, comme un Spider man qui transforme le monde, qui le sauve, elle allait voir ma superpuissance, ma force de man invicible. J’avais décidé de faire connaissance avec la voisine. Ca allait faire connaissance et très vite. Très vite et complètement si tu vois ce que je veux dire. J’arrivais à l’arrière de sa maison de catalogue. J’ai avisé une pierre et là, pan que je te la balance dans le bow-window tout neuf, pan que ça éclate, comme dans le film Full Métal Jackett que mon vieux y regarde 50 fois par an en buvant des bières et criant « nique les jaune, nique les chinetok, nique, nique ». Y avait du verre partout et j’me suis senti Spider man, Spider man le maître du monde. J’vais sauver la voisine, j’ai pensé. Elle va me tomber en amour. Puis je vais niquer la niquer toute. Ca sera au moins pas un samedi de perdu. Et quand mes vieux vont rentrer, j’arrêterai de les hair pour le trou de silence qu’ils me laissent dans la tête. Je suis entré dans la maison, c’était la cuisine, j’ai ouvert le frigo et j’ai vu du yaourt à boire. J’avais trop envie de ça, du yaourt à boire, alors je l’ai ouvert et j’ai bu d’un coup, plus de la moitié, le reste, j’ai renversé sur le carrelage, comme un vainqueur, comme Attila que la maîtresse nous racontait qu’il brûlait tout sur son passage pour que les gens l’oublient jamais que moi, je veux pas être oublié parce que c’est trop court la vie, déjà quand la moitié du temps t’es seul. J’ai pris l’aiguille à tricoter de Spider man pour attaquer l’étage, histoire que la rouquine, elle me reconnaisse, pour pas passer pour un con les mains vides, sans fleur, sans couronne, sans armée et autre merde que l’on voit dans les films pour retrouver ma Mary Jane que j’entendais meugler à l’étage comme une vache qu’on va saigner et ça me faisait un drôle de truc dans le bas-ventre de l’entendre comme ça crier, gémir pour moi, rien que pour moi qu’est un gamin de merde, un voyou qu’il dit le directeur, un bouché complet qu’elle dit la maîtresse. J’étais content aussi parce que je comprenais que son gars en gris il était pas là, et c’est toujours mieux de pas être trois dans ces affaires là, ça fout le bordel. J’étais sur le palier et elle criait, elle criait. Je sais pas si je l’aimais mieux maintenant rouge et pleurant ou avant quand elle avait son air de magazine et les cheveux qui dépassent pas comme la reine quand elle passe à la télé. Elle a dit : « J’ai prévenu la police ». Connasse, j’ai dit, t’es rien qu’une connassse, une connassse rousse, une connasse rousse, qu’est peut-être même pas une vraie, tu captes rien à rien connasse. Moi, je viens te sauver. T’as pas compris, connasse. Tu fous tout en l’air. Elle s’est enfermée dans sa chambre. Alors, j’ai commencé à hurler, hurler à la mort, comme un chien, un loup, une araignée géante, un dinosaure, un animal préhistorique qui sent que la terre est en train de se réchauffer et que peut-être il va disparaître. J’ai tapé de toutes mes forces pour défoncer la porte. J’ai planté l’aiguille à tricoté et gratté, gratté, j’allais trouer la porte, cette porte de merde, la labourer, la plomber, la tailler, en faire plus rien que de la poussière de porte que tu vois même plus et t’as intérêt à m’ouvrir espèce de connasse. Je suis ton voisin. J’ai neuf ans. Je m’appelle Samy. On est samedi. Je suis tout seul chez moi. Je voudrais parler à quelqu’un, écouter de la musique. Avec toi. Qu’est belle et qui sent bon comme la publicité de la poudre à lessiver. Que tu me prennes dans tes bras. Puis les flics sont arrivés et ça a tourné moche comme c’est toujours moche avec eux qui sont des abrutis qui comprennent rien à la vie déjà quand y z avaient eu mon grand-père puis mon oncle. Dangereux qui m’ont dit. T’es qu’un dangereux. Graine de violence, voyou de merde, graine de délinquant. Moi je voulais du mal à personne. C’est toi. J’ai que neuf ans. Je m’appelle Samy. On est samedi. Je voulais que tu me prennes dans tes bras.