L'impressionniste de Molenbeek

Guerres secrètes et soldat de l'ombre

Des terroristes ont attaqué Bruxelles Ma Belle, des espions chinois et russes dérobent des secrets, des dealers cannabis financent des terroristes, l’extrême droite vise le Parlement Fédéral Belge et les hostiles des forces du désordre attaquent les terrasses et le mode de vie occidental. Le monde vire vers le choc des civilisations mais à qui profite le crime ?

Après 5 années de dérive mentale suite à une rupture avec sa fille, le Molenbeekois Karim Moreno éclairé par les paroles de son thérapeute, Alain Bashung, retrouve le goût à la vie grâce à sa rencontre avec sa nouvelle voisine de 15 ans. Mais à peine a-t-il profité de leur complicité qu’un accident de la vie les sépare.

Pour Moreno, il est temps d’arrêter de remplir les prisons de dealers qui s’y radicalisent. Mais pour changer des lois injustes, il faut des preuves…Chargé de haine, Karim Moreno, le conseiller politique tente de convaincre son ami d’enfance, le major Alejandro Jiménez du renseignement militaire belge (SGRS) de monter une opé clandestine avec des mercenaires russes pour agir dans l’illégalité et sauver l’occident inchallah. Durant les enquêtes de Molenbeek à Malaga, aucune limite légale ou morale ne sera respectée dans l’esthétique de la violence impressionniste au milieu des volutes de fumées de la Marijuana et Haschich.

Fiche

Visuel
Images
Son
https://www.youtube.com/watch?v=AkkHRZU58Gs&ab_ch…
Année
2021
Édition
autoédition
Co-auteur.trice(s)
Leclercq Véronique

Extrait

03 Mars, Molenbeek-Saint-Jean, 17h25

Une patrouille banalisée de l’Antidote, la nouvelle cellule anti-délinquance du quotidien de Bruxelles-Ouest sécurise les rues du quartier de la Gare de l’Ouest de Molenbeek-Saint-Jean. Au volant, le commissaire Maxime Van Malder, 20 ans de service, récemment muté à la tête de cette nouvelle brigade.

À ses côtés, Steph Maertens vient d’intégrer l’équipe après une carrière de juriste dans un cabinet de Bruxelles-Sud. Au milieu des embouteillages, le commissaire Van Malder scrute et analyse les milliers d’informations. Une main sur le volant, l’autre tenant une cigarette, il dit à son collègue :

— Môme, j’disais à ma mère Edwige « Grand, j’roulerai en BMW noire ! ».

— Et ta moeder[1] répondait quoi ?

— Ma vieille, instit à l’école fondamentale Sainte-Christina à Molenbeek disait « oublie ces bagnoles de voyous ! » et faut avouer, inspecteur, que du haut de mes 7 ans, j’saisissais pas en quoi acheter une BMW pouvait faire de moi un délinquant du futur. Quarante ans plus tard, j’comprends mieux le sens de ses paroles éclairées.

La patrouille déboule dans les rues du quartier Maritime et s’arrête un moment devant d’immenses bâtiments pour laisser le temps aux yeux du commissaire de scanner la street. La banalisée lézarde à l’affût d’une transaction de quelque chose d’illégal. Avec le bruit des klaxons des bus, camions de marchandises et trams, les nuisances sonores des avions sont à peine audibles.

Des chalands chargés de sacs sortent des magasins alimentaires et boucheries halal et un couple quitte une boulangerie avec des gâteaux de mariage. Le poissonnier papote avec le cordonnier devant un salon de thé « Hrira[2] bio de chez madre Aicha ». Le coiffeur pour homme « Sultan » est bondé et la mosquée est vide. Deux blondes sortent du hammam et entrent à l’institut de beauté. Les téléboutiques proposent des câbles chinois qui brûlent et des gosses jouent devant l’école de devoirs. Les livreurs en scooter circulent dans tous les sens et une journaliste aux cheveux bouclés de RTL-TVI interviewe un couturier qui propose des kaftans « tendance ».

— Inspecteur, admirez ces joyaux comme nos anciennes fabriques « Nestor Martin, Gosset et Byrrhe », recyclées en terrain de deal shit et herbe.

C’est l’rush et les pickpockets charbonnent. Ici, dans le point central du deal en Belgique, les portes des maisons et des commerces, les attroupements de jeunes, les personnes statiques, les voitures trop lentes en recherche de coke, héroïne, shit, marijuana, méthadone ou armes à feu sont les cibles des forces de police et de différents services de renseignements de la coalition. Sans oublier les mendiants, les sdf, les balayeurs de rues, les travailleurs sociaux et les sans-papiers qui draguent les filles pour un faux mariage d’amour ou un regroupement familial à 30.000 €. Familiarisés à la street, les yeux du commissaire cherchent un certain type de comportement associé à un profil.

— C’est mort ici, on bouge vers Ribaucourt pour sécuriser nos lofts bobos, on a eu pas mal de plaintes pour vandali, inspecteur.

Les lofts de la rue Ribaucourt sont un ensemble de moyen standing bordé par un parc privé et grillagé. Son caractère privatif pose de gros problèmes dans ce quartier populaire où les espaces verts sont très rares.

— Steph, en 2009, des émeutes ont fait couler beaucoup d’encre. Nos habitants se sont révoltés contre la mentalité des parcs privés, barrés par des grilles en plein Molen. On bouge, c’est trop calme ici ! On fait sortie Ribaucourt, on a foule bons clients là-bas.

La voiture de l’Antidote roule une dizaine de minutes et s’arrête à un feu de circulation. Des jeunes, des femmes avec poussettes et des personnes âgées entrent et sortent de la station de métro. Un bus ouvre ses portes et des gens déferlent vers les magasins alimentaires ou vestimentaires de la légendaire Chaussée de Gand. Un dealer en training traverse sur le passage piéton et s’arrête pour scruter la banalisée en fixant du regard le commissaire qui dit :

— Qu’est-ce qu’il fout ici, ce clown raté ?

— Il cause avec les sportifs invalides, les chelous à l’arrêt de bus. Donc ça magouille, c’est logique, dit Steph qui sent monter l’excitation.

— C’est pas Sarrajou, fait pas l'objet d'une ordonnance de capture ?

— Ya mais nee, c’est son frère jumeau, toujours recherché pour terro ! Un des deux a grossi, mais j’sais pas lequel ! répond Steph, la main sur son arme de service dans sa ceinture.

— Il marchait vers nous et n’a même pas tiqué, donc il prépare un coup, ça m’dit rien de catholique, dit Maxime en ajustant ses lunettes de motard.

Steph Maertens ouvre bien grand ses yeux pour apprendre son nouveau métier et clouer dans sa mémoire la topographie de sa zone de chasse.

— Inspecteur, le top pour des flics comme nous, c’est le flag ! Un bon flagrant délit, y a que ça de vrai chez les pros !

Avec l’expérience de la rue bruxelloise, le commissaire Maxime a appris à sentir et anticiper la probabilité d’une infraction et d’un flagrant délit.

— Steph, mate le training bleu de Madrid devant snack « Basilique Halal », c’est pas notre cli sur le scooter rouge, recherché pour vol et trafic stups ? J’aime pas sa manière de remuer et j’sens l’odeur du deal dans cette jungle.

— Oublie, le nôtre est plus grand ! On va jamais trouver notre client, c’est un pro, t’as vu son palmarès ! Laat maar[3] ! On a 100.000 habitants suspects à scanner. Tout est bloqué, trop de fumée, de bagnoles et d’embouteillages à Molenbeek, c’est pas des écolos ici ! Change une fois de route, commissaire. Au fait, au JT, j’ai entendu que les écolos de Molenbeek voulaient interdire les BMW diesel et régulariser tous les sans-paps d’Europe.

— Parfait, avec ces généreux environnementalistes, on patrouillera en chameau, ça contribuera au développement durable, dit Maxime.

— Ya mais nee, je préfère mon vieux libéralisme durable avec mon diesel.

La patrouille roule lentement vers la Chaussée de Gand pendant que Steph admire les vitrines des magasins pour femmes jeunes et jolies.

— Inspecteur, le scooter prend la tangente vers rue Ransfort et vous matez les Shahrazades, j’t’comprends ! Alors c’est notre dealer ou pas ?

— On le course, comico, il se barre pour filer vers le canal.

Maxime active le gyrophare, enchaîne une pointe de vitesse sur la chaussée de Gand et la radio embarquée crache dans un bruit strident :

— Inspecteur Maertens, le casque bleu, c’est pour vol et trafic de stups et le casque beige, c’est pour vente d’armes. Vous enregistrez ?

— C’est pas un belge, beige la couleur du casque. On choppe le casque bleu, commissaire, dit Steph perdu dans le flux d’informations contradictoires.

Le scooter fonce vers une allée à proximité de la sortie du métro « Étangs Noirs » et disparait derrière une double porte en métal.

— Suspect introduit dans allée en direction garage, on intervient, signale le commissaire. Besoin patrouille pour sécurisation véhicule. Et dites au putain de chef de corps de mettre le paquet pour la légalisation. On pourrait être au chaud dans notre bureau et nos clients allongés dans de confortables coffee-shop sans oublier le jack pot pour les caisses de l’état. Taxes, accises et tutti quanti, mieux qu’un Win For Life ! On est gouverné par des frustrés du cerveau, pas possible ! Inspecteur, admirez cette perte d’énergie pour défendre une erreur de jugement et un entêtement politique. La haine des flics augmente mais nous, on n’a pas voté ces putains d’inutiles lois de pénalisation.

Le commissaire lâche sa radio et s’arrête. Contact coupé, clés embarquées. L’un derrière l’autre, Steph et Maxime pénètrent par une double porte métallique dans un bâtiment semi-industriel. Ils avancent, les armes en étuis autour de la poitrine, camouflées par une veste de sport et cherchent un drari[4], le conducteur du scooter.

Un jeune apparait, les mains dans les poches et se dirige vers la sortie de l’allée. Les deux flics papotent en regardant le bâtiment industriel comme des entrepreneurs qui vont l’aménager et à la hauteur du suspect, ils le plaquent contre le mur en palpant son corps à la recherche d’arme, drogue ou argent.

Et Steph ordonne, la voix forte et virile, avec un accent du Limbourg :

— Reste là, écarte tes jambes et bouge pas, Pablo !

— Suspect intercepté. Et faut sécuriser notre véhicule sur chaussée de Gand ! dit le commissaire Maxime, le talkie-walkie en mains.

— Ton scoot est où ? On t’a vu y a deux secondes, dit Steph en passant les menottes.

— J’sais pas de quoi vous causez, réplique le jeune en crachant par terre.

— On est des menteurs alors ! Mon chou, on t’a filmé mon collègue et moi. Gewoon[5]. Kom[6], on fait un tour dans ces boxes pourris.

Ensuite ils se dirigent vers les garages et les voitures parquées au hasard. Et à l’arrière des berlines, à l’abri se trouve un scooter.

— C’est pas le mien… wallah !

Ensuite le commissaire informe ses collègues par talkie-walkie.

— Peut-être, mais c’est tes mains qui le pilotent comme une Ferrari khouya[7] ! On t’a vu rentrer et dis pas non ! Oki, oki, kijk[8], commissaire.

— Quelle chance, un scooter derrière ces deux berlines rouillées dans une cour intérieure avec 20 boxes pour cacher le haram[9]. C’est pas beau ça, j’vais même le toucher pour te donner le bénéfice du doute, affirme Maxime.

Il s’avance de quelques pas, sent la chaleur du moteur, sourit et ajoute :

— On t’a vu rouler avec ce scooter, alors ferme-la khouya ou continue à nier, chacun son job sur terre pour aller au paradis.

— C’est pas moi, msieur ! répond le jeune en regardant autour de lui, comme s’il attendait du renfort.

— Au fait, j’vais m’acheter des lunettes !! dit l’inspecteur Steph, pendant une deuxième fouille plus approfondie où il trouve une clé planquée dans la chaussette du suspect.

— Anna et Kona, interpel OK et situation maîtrisée. On bouge vers rue, risque attroupement, rappliquez fissa ! dit le commissaire par talkie-walkie.

L’inspecteur Steph ouvre le coffre du scooter et trouve une belle sacoche bien emballée, remplie de 2 kg de marijuana prête à la distribution.

Le travailleur du Canna-Biz est livré aux inspecteurs Anna Sokolnitcheskaïa, Hamza Roussafi et Kona Diaby. Direction le commissariat de la zone de Bruxelles-Ouest. Après cette intervention, le commissaire enchaine une nouvelle ronde. C’est le boulot de la patrouille d’occuper le terrain, son téléphone sonne, il répond :

— Alors mes yeux, vous êtes bien camouflés dans votre palace ?

— Ma blonde m’attend dans un sauna, dit l’inspecteur Marc Beeckman avec un magazine d’immobilier à Ostende en main.

— Vous avez du nouveau pour me déranger dans mon apaisante balade urbaine à Molen ? dit le commissaire Maxime.

— Une méga urgence, comico !

— Y a du neuf pour moi au Peterbos, mes enfants ?

— Approximativement 15.478 dealers et une trentaine d'acheteurs envahissent le parc devant moi, sinon l’urgence officielle est que vos fidèles serviteurs ont faim et que vous êtes en retard de 41 minutes.

— Tu diras à ton collègue le portugais, « Scoouze », j’passe illico chez Di Napoli et rapplique avec vos pizzas préférées, répond Maxime, puis il enclenche le gyrophare et accélère dans son bolide.

Voyant le regard interrogateur de Steph, le commissaire précise :

— C'est comme ma famille, un collègue m’appelle et il a faim, alors, on va pas se torturer pour cinq minutes non réglementaires de gyro. Ici à Molen 1080, oubliez les procédures. Une seule chose compte : le résultat ! Mes hommes, j’veux pas les laisser mourir de faim et tomber en burnout pour respecter des procédures aveugles, surtout qu’il n’y aura pas de commissariat au Peterbos avant 2023 ou 2032, j’sais pas, qui sait d’ailleurs !

Anderlecht, 18h09

Le Peterbos est un quartier issu de la philosophie moderniste combinée à un cauchemar hyper progressiste. Ce havre de paix du vivre ensemble offre un espace aéré et verdoyant dans lequel plusieurs tours de logements sont implantées suivant une orientation alliant l’écologie urbaine et le Feng Shui. C’est une savante et conviviale connexion entre l’homme et l’environnement. L’illusion urbanistique fut achevée en 1975 en pleine crise du pétrole et le Peterbos représente la plus grande cité sociale de la Région Bruxelloise avec 1.300 logements sur 17,1 hectares et 4.000 habitants déclarés à la commune.

Les méthodes officielles de recherche de la police belge sont l'observation, l'infiltration et le recours aux indicateurs. Deux chevronnés inspecteurs de la Police judiciaire fédérale de Bruxelles-Ouest, Marc Beeckman et Rodrigo Hiéro besognent. Du smartphone de l’inspecteur Marc en surveillance, sort un rap, spécialiste en informatique et observation, il scrute l’enregistrement vidéo sur l’écran de contrôle et dit à Rodrigo :

— Notre chouffe[10], c’est le mec avec sacoche, un ctb[11] avec une fausse Gucci, l’uniforme du hittiste[12]. Il bouge et gère le terrain comme un chasseur dans la jungle.

L’inspecteur Rodrigo, une barbe de quelques jours et le bide mou, de type bouée et poignées d’amour intégrées, surfe sur un site de paris en ligne et s’esclaffe sur les paroles de Marc.

— Nos entrepreneurs ont monté un juteux terrain, complexe à attaquer avec ses différentes tours piégées. Faciles d’accès pour les clients avec l’autoroute à côté pour sortir fissa de Bruxelles. Un bon terrain, hostile, comme j’aime. Mais écoute, j’t’ai pas raconté les derniers scoops. Voilà pendant ta longue absence, une dizaine de collègues ont porté plainte pour tentative de meurtre au Peterbos.

— Que 10 ? rétorque Rodrigo la tête hypnotisée par son smartphone.

— Des jeunes, ces merdeux ont accueilli nos flics de manière hospitalière avec des briques et des pierres depuis les toits des immeubles. On a une bonne dizaine de blessés et plaintes en cours. Trois suspects dont deux mineurs ont été arrêtés et déférés devant le proc qui les a placés sous mandat d’arrêt, explique Marc en bricolant une touche manquante sur le clavier du Pc.

Et la perte d’un pari sur un match d’Anderlecht en favori agace Rodrigo :

— Sont nuls ces Anderlechtois, bordel ! J’ai perdu 45 € et comment t’as deviné que notre terrain de deal est juteux ?

— Si tu lâchais un peu ton appli drague, t’aurais remarqué la marque des chaussures du chouffe, une paire à 450 €, c’est ça analyser le terrain.

Rodrigo scrute les chaussures Nike sur l’écran d’observation et sourit :

— J’te tire mon chapeau, ça c’est de l’observation, mais j’suis pas sur une appli drague, j’cherche un stage pour mon fils de 10 ans. Les vacances de Pâques approchent et j’ai la garde.

— Traine pas à l’inscrire pour être tranquille niveau mental, parce qu’avec notre boulot, tu dois avoir une aide. Tu pourras pas gérer ta partie de la garde alternée sans ressource humaine, trouve-toi vite n’importe quelle femme pour régler l’intendance familiale et tu choisiras quel stage ou quelle femme ?

Ensuite Rodrigo se lève et marche dans un salon vide. Par terre un sac poubelle déborde de paquets de nouilles, d’emballages de pizza et de cannettes vides, il se sert un nouveau Red Bull et se positionne à la fenêtre derrière un rideau en voile. Les yeux braqués sur les transactions commerciales entre les dealers et les clients, il répond :

— J’voulais l’inscrire à un gentil stage de self-défense Krav Maga à Etterbeek, pour l’aider à imposer sa personnalité et lui filer des armes pour survivre dans cette jungle urbaine mais sa mère trouve qu’il est encore trop p’tit, elle préfère l’inscrire à un stage de théâtre de marionnettes, c’est tendance.

Le quartier du Peterbos à Anderlecht est constitué d’un grand parking en surface, d’un espace vert avec quelques arbres, d’inconfortables bancs en faux bois et d’une dizaine de tours de dix étages avec des escaliers de secours extérieurs, des balcons et des paraboles guidées vers des satellites orientaux.

Environ 4.000 âmes déclarées au registre de la commune, vivent dans ces logements sociaux dont le loyer excède rarement les 400 € par mois. Un magnifique graffiti avec le mot DRARI orne la façade aux couleurs jamaïcaines et une odeur de poubelles infeste les couloirs.

— Te casse pas la tête et laisse la mère organiser, c’est bénéfique pour ton relationnel avec elle et le p’tit. Pour l’initiation Krav, j’passerai le chercher et l’amènerai à la salle. Si ça vient de moi ça passera crème.

— À côté de l’arrêt du bus, les traces de rafales kalach, c’est nouveau ?

Marc zoome avec la caméra vers les traces de balles sur le mur en béton et se lève pour rejoindre son collègue.

— Peut-être un Uzi, le pistolet mitrailleur.

Les clients amateurs de shit et marijuana sont invités dans les halls des immeubles et ressortent après une ou deux minutes. Dans les cages d’escaliers, les acheteurs se succèdent à l’abri des regards, avec une moyenne de 25 clients par heure. Les dealers ont assiégé les halls et portes d’entrée et menacent les locataires. Ils ont comme qui dirait privatisé la cité. La clientèle est composée de monsieur et madame tout le monde et la caméra de l’équipe d’observation filme. Rodrigo fixe l’arrière des tours et dit :

— « Tu payes si tu touches ou ton t-shirt s'ra saturé d'taches. Si t'es avec moi, check, sinon trace ton ch'min »[13], comme dirait le validé philosophe. Va y avoir du sport, frère. Grouille-toi, j’flaire comme une intervention haram avec une exclusion du terrain de deal et un carton rouge à l’ancienne.

Marc rapplique illico des toilettes, vérifie le bon fonctionnement du logiciel et se positionne aux premières loges à côté du collègue. Soudain, surgit de l’arrière de l’immeuble un type bizarre, maigre et louche. D’un pas décidé, il s’avance, s’arrête devant les dealers, réclame quelque chose en agitant ses bras puis, recule d’un pas, sort un objet métallique, frappe le vendeur et le blesse au coude. Ce dernier tente de se protéger mais l’assaillant lui balance rapidement un second coup de pied dans le ventre.

Quatre gros bras arrivent. Des coups pleuvent et l’hostile tombe. Il tente de se protéger le visage avec ses mains mais une douzaine de coups lui rappellent le règlement de la compét libre dans la street. Et rapidement les quatre nettoyeurs le jettent derrière, dans les bois, pour ne pas impacter le Canna-biz.

— Le bureau des réclamations a traité le dossier, c’est juste un tox pas un citoyen normal. Ils pointent les charbonneurs pour une embrouille, par manque de produit ou mauvaise défonce. Ce sont des junkies, on peut pas anticiper leurs réactions, dit Marc, toujours debout devant la fenêtre.

— Tu vois, pourquoi j’comprends pas la mère du p’tit. Elle est flic bordel et connait la musique de la rue et de ce genre de quartier ésotérique. Parfois, j’saisis pas certaines subtilités féminines, dit Rodrigo.

— J’vois des mômes de 12 ans qui dealent déjà, protège ton fils !

— Faut pas qu’il glisse, mon môme n’est encore qu’un gosse.

— Avec tes marionnettes, ton môme déprimera dans ce joyau du vivre ensemble à Bruxelles-Nord. Ta femme vit dans Bisounours Land ou quoi ?

— Pour la nouvelle doctrine, t’as des news ? dit Rodrigo avec sa canette.

— Écoute, ce taudis du Peterbos est connu pour un taux d’inactivité, niveau champion du monde. Le chômage est de 44% chez les jeunes et notre nouvelle doctrine suit l’approche du Parquet. Comme t’étais en burnout, j’te fais le topo et commence par la chronologie des évènements. En janvier 2019, notre honorable procureur de Bruxelles a enfin osé attirer l’attention du chef de corps de la police locale Bruxelles-Midi sur le nombre exorbitant de dossiers de violence envers les policiers de terrain. Des directives concrètes ont été données et le procureur du Roi a expliqué sa nouvelle approche.

— Et c’est quoi les directives pour secteur Peterbos ?

— Dorénavant, lors de chaque incident dans ce secteur, le magistrat de service est contacté pour les instructions en urgence. Les procès-verbaux sont transmis à la Permanence de première ligne du parquet dans les 24 h. Et dans cette cellule de gestion de l’urgence, on a 1 magistrat et demi pour centraliser nos dossiers. Pendant les briefings, ils donnent des instructions pour l’approche des faits et le service applique.

— Et concrètement, ça change quoi dans notre routine ?

— Nada ! Pendant que nos politiques jouent à la commedia dell’arte et se déchirent sur le communautaire et l’institutionnel avec des salaires de 6258 €, le pays sombre dans la faillite économique et l’insécurité globale. Et nous, l’Antidote, le fer de lance de la Police Judiciaire, nous, les traqueurs des déviants, on enregistre des images sur des disques durs saturés et on photocopie des milliers de dossiers en attendant le renfort ou un nouveau BXL Niveau 4. Attaque le service en mode cool après ton burnout et repose-toi pendant six mois au travail avant de reprendre les choses sérieuses. Comme c’est parti, c’est pas demain que le fédéral balancera les millions pour sécuriser le pays. On va s’empiffrer avec les pizzas à l’ananas et au Chorizo pendant que le commissaire te fera le topo ! Bienvenue à la maison Rodrigo ….et, pose pas trop de questions à Maxime, sous la déprime… il croule mskine[14].

 

[1] Mère, en flamand.

[2] La harira est une soupe traditionnelle du Maroc, d'origine andalouse. Elle est constituée de tomates, de légumes, de viande et d'oignons.

[3] Oublie ! Laisse tomber !, en flamand.

[4] Un jeune homme ou garçon, en marocain.

[5] C’est pas compliqué !, en flamand.

[6] Viens, en flamand.

[7] Mon frère, en marocain.

[8] Regarde, en flamand.

[9] Illicite ou interdit dans l’islam.

[10] Le mec qui surveille l’arrivée des policiers ou d’une bande rivale, en marocain.

[11] Casquette, training et basket.

[12] teneur de mur, en marocain.

[13] Koba LaD - Freestyle Ténébreux.

[14] Le pauvre, en marocain.