Affréter son regard
Avec Affréter son regard de Jean-Luc Godard, une nouvelle façon de voir, de dire le monde, est née : celle de l'écriture-spasme.
De l'océan, dont le sang se cabre, rue et s'emballe encore en nos veines et, souvent, nous désarçonne, nous éblouit.
Fils de la mer, même ancrés à terre, marins nous demeurons, assoiffés d'infinis, de falaises, de marées, et, aux ressacs, condamnés. C'est ce que le poète consigne ici, en une sorte de journal de bord dédié à l'amour.
En ses vagues de mots, leurs courbes de chair tendue vers un éphémère assouvissement, il rêve d'un monde qui bleuirait ses frontières.
Fiche
- Visuel
- Année
- 1988
- Édition
- La Louve, Spa
Extrait
Pouvoir
pouvoir
le tangage le roulis
laisser
la mer
achever mes phrases
tout ce qui s'enorgueillit
d'avoir
des racines
je travaille le cuivre
la sueur de la terre
---------------------------------------------------------------------------
Sans lever l'ancre comment
sans lever l'ancre comment
affréter son regard
changer le mien
tenté comme un rafiot
le bol ne détient la mer
qu'au retour de la tempête
ta voix de soprano toujours
ramifie le cristal
qu'a-t-elle la coque
à rêver de copeaux
----------------------------------------------------------------------------------
Une trompette qui écouterait
une trompette qui
écouterait
astiquer ses cuivres
tanner ses cuirs
en faire des haubans
de blanches voiles
à l'aimanté pardonner
ses coups de tête
ses coups de coeur
vogue celui qui prétend naviguer
paupières
pages doubles
du livre de bord
on y empaille
l'oiseau du cap
---------------------------------------------------------------------------
Tu n'es pas de la mer
tu n'es pas de la mer
toi qui ne vis que d'écume
d'infusions de thés
sans thé
la mer
et son immense matrice
le marin
en est-il le musicien
une chambre qu'on écoute
a des silences de souk
et nos lampées d'étoiles
leur moelle
au creux des vertèbres
de l'algèbre
le jeu religieux
---------------------------------------------------------------------------
Pour le fils
pour le fils
le père
est toujours éclusier
au port s'attacher
la liberté
ni la mer ni sa secrète musique
le marin le vrai
écoute
son bateau
désancrer
l'horizon
en chaque voyelle
je poursuis
le sein
---------------------------------------------------------------------------
Si mon remous d'un gouvernail
si mon remous d'un gouvernail
fait la roue
pardonnez-moi
ce n'est pas en trois encablures
qu'on s'y noie
ma vérité
dans les os
démâtés de ma mère
engloutir ses yeux
lacérer ses pavois
broderie
où les oiseaux de jour
jamais ne rejoignent
ceux de la nuit
---------------------------------------------------------------------------
Pêcher pourquoi pêcher
pêcher pourquoi pêcher
il
marchait sur l'eau
avait de ses yeux
démaillé les filets
on ne le suivait pas
on faisait de l'horizon
l'homme ou la femme
de sa vie