Une enfance heureuse
Ce livre évoque la mémoire, qui colle aux basques du poète, mais une mémoire qui tente d'effacer les « mauvais souvenirs » en toute lucidité, en sachant que si « on peut regretter le père Noël. Il n'en demeure pas moins un leurre ». Le poète convoque la nature à travers les différents éléments qui la composent : soleil, eau, brume, nuit, mer, ciel, désert, ... pour l'accompagner en cette période de la vie où les enfants étaient « poissons à des accents de lune, bercés à l'infini des marées ».
L'enfant poète – le poète enfant – vit dans un monde d'avant le monde, d'avant les désillusions, d'avant les meurtrissures inévitables, un temps de « chair », un temps qui ne fait que s'écouler. Ainsi « Sans doute n'aimais-je rien tant que le temps qui s'écoulait, le vent qui dans mes cheveux me renouvelait la promesse des instants, la grâce d'un moment où le monde nous fait vibrer de son onde, matière dont l'être nous remplit, lumière à notre esprit ».
(Extrait de la préface de Claude Donnay)
Fiche
- Visuel
- Année
- 2017
- Édition
- Le Coudrier
Extrait
Tatoués de soleil, nous étions baignés d'eaux, veinés de vaisseaux au repos du voyant, par l'éveil couronnés de la bénédiction de vivre, toujours plus vivants que nous ne voyions évoluer nos parents, quoique nous répondions du prénom d'un mort, par sa sœur Renée.
Tant de gamètes sont tirées sur la comète !
Nous étions légion d'un troupeau, boisseau de nuit sous le trousseau des étoiles, l'étoffe d'une peau, nés dans le courant d'un fleuve dont affleurait le souffle, berceau d'un lit plus profond que la maison d'un nom, plus fécond que les fonts. Il est un corps mieux né, où les poissons dans l'eau se sentent des ailes, où les posidonies couchent leur prairie.
A travers l'onde, filtrait le soleil dans l'écho assourdi des mondes. Elle est le domaine des sirènes, le chapelet des îles, l'étole des atolls, le tombeau des volcans que le corail recueille en bercail de rocailles, l'horizon des lagons.
Rien n'est transparent comme la brume au voyant : les fées, les croix, ce que l'on croit, qu'on devine en gésine, s'y voit. Poète, c'est dit, tirant à chacun le chapeau de sa tête ou sa tête du chapeau, promis des légendes dans la provende des lavandes, thyrse au risque de la brande.
Simples et joyeux, nous nagions dans le bonheur sous l'éclat des regards, créatures de peau répandues au miroir, nénuphars au plateau d'argent, affleurant au poumon de l'étang, jouant sur du velours dans le blanc de l'amour.
Nous étions la nuit constellée cillée d'œillades, mitaine croquée au loup, quand le jour se fait sous les paupières, la traîne laiteuse que la nuit blanche givre dans l'herbe, témoins de la voie lactée au paraphe d'un tétin. Des tours et des magies pour qu'un sourire respire, pour que se cheville une aile, que les soupirs s'étirent de longue haleine à des ports de reine.
On disait qu'à Tombelaine, île des morts, les sirènes fendaient les vagues à l'appel des noyés, qu'enroulés dans leurs cheveux, elles en bordaient les yeux comme d'un amoureux.
La mer a des habits de lumière dans l'arène éblouie, et des coquilles de noix qu'elle écale. Elle est dans l'âme troublée, comme l'appel d'une femme, le tropisme des abîmes, l'horizon où se referme le cercle.