Le vieil homme rangé

Une jeune femme trie les livres et les papiers de son père, archéologue renommé, disparu depuis un an. Soudain, il réapparaît comme si de rien n'était. Après un moment de tension bien compréhensible, père et fille vont peu à peu trouver les mots qui leur ont cruellement fait défaut jusque-là. Création à Anvers, le 14 janvier 1999, par le RaamTeater de "Een opgeruimde ouwe heer", traduction néerlandaise de Willem Tillemans, avec Katrien De Becker et Roger Van Kerpel dans une mise en scène de Julienne De Bruyn. Création au festival de Spa, le 4 août 1999, par l'Atelier Théâtre Jean Vilar, avec René Hainaux et Fanny Delbrice dans une mise en scène de Michel Wright. Reprise à l’Atelier Théâtre Jean Vilar à Louvain La Neuve, suivi d’une tournée en Belgique. Traductions en néerlandais par Walter Tillemans, en italien par Antonella Questa.

Fiche

Année
2000
Édition
Lansman

Extrait

Pendant que Jeanne s’affaire à son tri, Henri est entré silencieusement, sans qu’elle s’en aperçoive. Il est élégant, manteau, costume, cravate, chapeau. Il porte une valise neuve. Il s’est arrêté à la porte et regarde Jeanne.
Henri : Tu fouilles ?
Jeanne ne peut réprimer un cri et un mouvement d’une grande frayeur. Elle en laisse tomber les feuilles qu’elle tenait en mains. Un temps.
Henri : Tu fouilles dans mes affaires.
Jeanne : …
Henri : Mes manuscrits ! Tu liquides mes manuscrits.
Jeanne : … ! ?
Henri : Ne me dis pas que tu les emportes à la Bibliothèque nationale !
Jeanne : D’où tu sors ?
Henri : Du taxi. Avant, du train. Avant, de l’avion.
Jeanne : Un an. Ça fait un an que tu es disparu.
Henri : Parti ! Pas disparu. Un an et quatorze jours.
Jeanne : Quand on part, on prévient.
Henri : Tu n’embrasses plus ton vieux père ? (Il prend Jeanne dans ses bras ; elle se laisse faire. Un temps.) Mes livres ?
Jeanne : C’est bien le moment de parler de tes livres !
Henri : …
Jeanne : Tes livres sont chez moi.
Henri : …
Jeanne : Trop humide, ici. Plus de chauffage. Plus personne dans la maison.
Henri : Dans des caisses ?
Jeanne : Dans des caisses.
Henri : Bien ?
Jeanne : Bien… Moi aussi, je vais bien.
Henri : …
Jeanne : Jacques aussi. Et Nicole.
Henri : Et… ?
Jeanne : Patrick ?… On n’est plus ensemble.
Henri : Et… ?
Jeanne : Toute seule.
Henri : Bien.
Jeanne : Tout le monde va bien.
Henri (regardant l’étagère et considérant le tri en cours) :Alors, puisque tout le monde va bien…
Jeanne : Le monde entier te croyait mort.
Henri : Moi aussi je vais bien.
Jeanne : La maison ne pouvait pas rester éternellement vide.
Henri (désignant les caisses pleines de papiers) : Vide ?
Jeanne : C’est tout ce que tu racontes ?
Henri : Je vais ranger mes affaires.
Jeanne : Il n’y a rien de plus urgent ?
Henri : Mes vêtements sont pliés depuis ce matin, et je déteste les vêtements froissés…