Jeanne Dandoy

  • Écrit / Audiovisuel / Spectacle vivant

Koekelberg / Hollywood

Koekelberg/Hollywood est une épopée burlesque, queer et féministe d'un personnage en quête d'identité et de paix, lancé dans la course aux Oscars et des revendications politiques qui le dépassent. Un road movie irrévérencieux, poétique et absurde, de Koekelberg à Hollywood, rempli de guest stars impossible, invraisemblables et dissonantes.

Fiche

Année
2016

Extrait

Je referme la porte de l'antichambre de Nowhere. Et je sais que c'est là, et nulle part ailleurs. J'aimerais tenir la main de Mireille dans la mienne. Sentir son souffle réel, chaud, si vivant. Je veux, le tout petit bruit de ses tous petits pas, l'entendre cogner la chaussée, s'éloignant furtivement des fauves, des singes et des Bitch empaillés. Mais la vie est une chienne et m'envoie ce signal, un de plus, par l'entremise d'une voiture gris métallisé, dévalant le boulevard à toute allure, bien décidée à ne pas rater le daim délicat du blouson recouvrant ma (très) chère veste vintage. Voici ma dignité réduite - provisoirement - à néant, trempée, lessivée à l'eau de caniveau, comme sortie du bidet d'un gastro-enthérologue. Mon coeur te dit je t'aime / Il ne sait dire que ça / Je ne veux pas te perdre / J'ai trop besoin de toi  hurle mon téléphone et je me souviens que des tâches hautement qualifiées m'attendent auprès de ceux qui m'aiment. « Ceux qui m'aiment ». A cette pensée, mon coeur se serre. Impossible de saisir la portée exacte de cette phrase. Signifiant et signifié brouillés mélangés en un mouvement ultime vers le rien, le bruit et puis la cacophonie. Acheter du cramique pour Mireille.

         Et tandis que j'arrive chez Bobonne, hors d'haleine, dégoulinant de cette boue indescriptible qui m'a valu d'être la risée des derniers passagers du métro, en mode « veille », je la trouve étrangement calme face à l'écran de son PC, tenant la manette de sa console à l'envers tandis qu'à l'écran, son avatar, Gwendaline, une Elfe violette à forte poitrine dotée de pouvoirs maléfiques, se fait défoncer la mignonne petite gueule à coups de serpe et de bolée magique : plus qu'étrange, paranormal. Le sourire de Mémé finit d'atrocement m’inquiéter.

- Domino ! Te voilà enfin ! Tu as passé une belle journée ?

         Je lui jette ses feuilles à joints. Semblable à une automate, avec un visage de porcelaine grisâtre, elle commence son long travail de roulage, inexorablement. Mais ce soir ses mains font le travail sans elle, son esprit s’est provisoirement absenté, et elle formule un courtois :

- Installe-toi, tu veux un Oxo ? C'est joli ce que tu portes, un peu spécial bien sûr, mais, c'est bien dans les tons de cet hiver, non ?

         Une odeur désagréable vient me piquer l'intérieur du nez, très profondément jusqu'à l'estomac, c'est puissant, violent même, un tord-boyaux au sens étymologique du terme. J'ai mal aux papilles olfactives.

- T'aurais pas un vieux pull à pépé ?

- Pourquoi ? C'est encore pour un de tes trucs de théâtre ?

- Non, Bobonne, j'ai froid là, je suis trempé.

- Ces artistes ! Je te fais une tartine avec ton Oxo ?

         Il me revient à l'esprit que Tranxène est en dépression, que Demis a besoin de pisser depuis un paquet conséquent de minutes, et que Céline, la délicate, s'est lâchée sur la moquette quelques heures plus tôt. Voilà ce que c'est que d'être l'esclave d'un animal...

- Dis voir, je devais pas aller promener les chiens ?

- Si si si.

         J'attrape les laisses derrière le fauteuil grand-matriarcal, les chiens ne sentent plus de joie et pour montrer leur belle voix ils poussent un large « ouaf ». L'espace se voit aussitôt conquis par une autre odeur, celle de leurs gueules infestées, et si L'Amour est un chien de l'Enfer, je prie pour qu'il ne soit pas de ceux-ci[1].

 

- On n'est pas pressé, bichon.

- Je suis un peu sur la réserve, j'ai froid et j'ai casting demain matin, je t'ai dit.

- Casting ? Pour un film ?

- Une série.

- Ca se passe dans un hôpital ? Glapît ma Bobonne, ivre de joie, battant des mains.

 

         « Déception » hurle son cerveau sous camisole chimique. Aussi, je me lève afin d'aller remplir ma mission. Nourrir chiots, mères, géniteurs, tout en un, en finir... Mémé bondit avec une énergie que je ne lui avait plus observée depuis sa dernière finale contre Abdul Majestix, un esprit très puissant du Monde des QuamZs. Dans son élan, elle ne remarque pas les trois laisses attachées à son fauteuil, trébuche et atterrit à mes pieds. Le contenu entier de sa boîte à joints se voit propulsé sur ma veste trempée, hôte odorant et poilu d'un genre inédit. Je ramasse au sol les restes épars de ma grand-mère, au milieux d’aboiements suraigus des spitz nains.

NOTE:

[1] - Tranxène : reflux gastrique dépressif

- Demis : problèmes si extrêmes de tartre que jai souvent envisagé de le plonger dans un bain de vinaigre pur

  • Céline: - plus modeste du côté buccal
    • - s'oublie sur les tapis
    • - entretient une préférence quasi amoureuse pour les lainages à poils longs. Jadis nous aimions la moquette blanche mais c'est une folie à laquelle nous avons renoncé. Par contre, l'amour de la moquette, est une folie des années '60 à laquelle Christiane Carême ne renoncera, je le crains, qu'au jour du jugement dernier.