Jeanne Dandoy

  • Écrit / Audiovisuel / Spectacle vivant

Merveille

Merveille se penche sur les heures qui précèdent la fuite d’une femme avec son bébé, loin d’un foyer violent. Il ne s’agit pas d’un pensum sur les violences conjugales et intrafamiliales, il ne s’agit pas d’un manifeste, il ne s’agit pas de soumettre le public au régime de la violence au travers une cacophonie d’images brutales (porn trauma), mais bien de le faire plonger dans la tête de cette femme, de faire pulser son coeur avec le sien, et de tenter de percevoir les émotions qui la traversent, et ce qu’elle fuit avec tant de détermination. Le spectacle pose résolument notre regard (female gaze) de son côté. Il nous la montre dans une série de situations du quoti- dien qui, si l’on n’y prend garde, semblent terriblement habituelles, voir banales, mais qui, ici, font non seulement l’objet d’une vision particulière, mais aussi, dès qu’on s’y attarde un peu, nous obligent à nous interroger sur les motivations de notre héroïne. Que fuit-elle ? Pourquoi ? Était-il possible de faire autrement ? Est-elle responsable ?

Ce spectacle s’inscrit au cœur de deux « courants » qui irriguent la compagnie. Il initie le « cycle de la peur dans la maison » et innerve notre projet de « sauver des héroïnes en péril », en questionnant notre appétit de voir mourir nos héroïnes de fictions (de la Petite Sirène aux James Bond Girls, en passant par Thelma et Louise). A travers ces cycles, nous cherchons à comprendre ce qui pousse les spectateur·ice·s

à accepter que tant de femmes dans la fiction trouvent une fin si tragique, quand nous es- pérons des victoires flamboyantes aux héros masculins. D’où vient notre fascination pour les larmes des héroïnes/femmes/actrices ? Et surtout, d’où vient que ces héroïnes ne peuvent vaincre ?

Nous ne donnons pas ici la parole à l’homme violent, car nous estimons qu’il l’a trop souvent monopolisée. Nous ne racontons pas l’histoire du chasseur, mais celle de la biche ou de la lionne.

Nous n’assommerons personne avec des chiffres (même s’ils sont parfois nécessaires), ni avec des mots (même si c’est beau, les mots) car il nous semble que cette histoire se situe au-delà des mots. Cette histoire tente de faire ressentir l’indicible. Elle tente de faire éprouver les sensations d’un cerveau qui sort de l’emprise, celui d’une femme qui s’arrache à son foyer et à sa condition d’être soumise au point d’avoir perdu l’accès au plein langage.

Tout au long des prochaines créations, nous développerons un langage théâtral flirtant avec les codes du cinéma de genre. Dans Merveille, nous touchons au réalisme magique, et nos références oscillent entre Jeanne Dieleman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles ; Blue Vel- vet et Top of The Lake). Un voyage sensoriel, sonore, visuel, au plus proche des émotions et sensations de cette femme en quête de paix. Notre désir tend à proposer une version lumi- neuse et résiliente d’une histoire terrible dont cette femme et son enfant pourraient ne jamais sortir indemnes mais où la vie finit par remporter la victoire, comme elle le fait souvent. C’est l’histoire d’un féminicide qui n’a pas lieu. C’est l’histoire d’une grande victoire.

Fiche

Visuel
Vidéo
Images
Année
2022
Production
Seriallilith en coproduction avec le théâtre des Martyrs et le Théâtre de Liège, La Coop et Shelter Prod, avec l'aide de la Fédération Wallonie Bruxelles, le soutien de la Résidence Enfants Admis
Diffusion
Seriallilith

Extrait

ELLE

J’ai longtemps fui. Les pieds comme de la corne à force de marcher. Il n’y avait d’ombre assez vaste pour abriter mon enfant, mon chagrin et mon corps froissés.

Le monde semblait trop petit. Je n’avais ni colère ni rage. Juste un instinct de survie chevillé au corps. Tenir encore. Jusqu’à l’aube. Regarder le soleil se lever et espérer, encore, une nouvelle journée sans la peur. Une journée sans la rage propulsée contre soi. Un nouveau jour sans haine, sans lui, sans ses yeux noirs. Puis, le coeur a moins hoqueté. Les apnées ont cessé. Et l’air a retrouvé le chemin des poumons.

Il n’existe aucun remède à la terreur. Aucune échappatoire à l’emprise sinon retrouver des bouts de soi jetés çà et là. Un puzzle hagard. Une vie en miettes. Et puis des petites mains qui deviennent grandes. Des sourires, des éclats, des battements de cil dans le cou, des petits pieds froids blottis au creux des genoux, des tartes aux pommes ratées, des chansons éculées.

Je dirai mon histoire. Je la chanterai. A travers les murs, à travers les ans, à travers les nations et les peuples, à travers les visages et les mots, dans le silence des vivantes et des mortes. Je dirai. Et je serai encore soleil et joyaux et lumière et ombre sidérante et joie pure et silence audacieux et merveille.