La Nuit du seum

Le 10 juillet 2018, la Belgique affronte la France en demi-finale de la Coupe du monde de football. Dans le bar de sorciers que vous connaissez bien, tous les yeux sont rivés au téléviseur, et quand l’équipe des Bleus anéantit finalement vos espoirs de finale, l’assemblée réagit avec la mauvaise grâce qu’elle rendit sitôt proverbiale.

De tous les sorciers présents, c’est sur Patte-de-Bouc, votre mentor, que la nouvelle a le plus grand effet. Fou de rage, il ourdit le projet de venger l’honneur national en maléficiant l’équipe de France. Son plan de bataille n’est cependant pas prêt avant que vous ayez éclusé de nombreuses bières, et peut-être n’avez-vous plus tout votre entendement lorsque vous acceptez d’être son complice.

Le sort requiert des composants rares et, à cette heure, l’illégalité ne vous fait pas peur. Vous voilà donc embarqué dans une quête éthylique à travers toute une ville qui n’est pas exempte de dangers. En chemin, vous croiserez une galerie de personnages truculents, et peut-être même le diable en personne...

Un roman dont vous êtes le héros à découvrir dès 14 ans.

Fiche

Visuel
Année
2020
Édition
Aux 3D

Extrait

À voir son expression, vous craignez que Patte-de-Bouc ne vous rie au nez. Il se contient cependant et se lance à la place dans un laïus énervé.
— T’as rien écouté plus tôt, si tu crois toujours que c’est une question de nationalisme ! La France, la Belgique… les nations, au fond, on s’en fout. D’ailleurs, ça n’a pas grand-chose à voir non plus avec le foot. C’est pas les drapeaux, qui comptent. Le vrai match de ce soir, bizuth, il se jouait entre la métropole et la périphérie. Entre les petits qu’on écrase toujours et les gros qui toujours tiennent le maillet.
» Des siècles durant, le pouvoir a été concentré là-bas, et nous, on en a été dépossédés. Et puisqu’on était tout au bout de sa portée — que ce soit celle de la France, de l’Espagne ou du Saint-Empire d’ailleurs, parce que des métropoles, y en a pas eu qu’une — puisqu’on était toujours à la frontière extrême de royaumes fragiles, toujours soupçonnés de n’être pas bien soumis, d’être réfractaires à une autorité trop lointaine, eh bien on nous l’appliquait avec une attention toute spéciale.
«  On nous a envoyé des prêtres et des instituteurs qui ont volé nos langues, des percepteurs qui ont volé le fruit de notre travail, des ordonnances de conscription qui ont volé notre jeunesse, des juges et des lois qui ont volé nos coutumes ! Le principe même de l’impérialisme, c’est la concentration maximale du pouvoir. Or, ce qu’on ramène au centre, on en prive la périphérie. L’impérialisme, c’est la mort de l’autonomie des peuples. Et c’est pas anodin, bizuth, surtout pour nous : tu sais bien que la sorcellerie est l’exercice ultime de la liberté !
» Tu vas me dire, c’est de l’histoire ancienne, tout ça. Oh que non ! Même si on a une frontière qu’a pas bougé depuis quasi deux siècles, les métropoles ça marche comme des aimants. Nous autres, on dépend toujours de Paris : il y a là-bas une académie qui nous dit comment on doit écrire, des sociétés de production qui décident quels films seront projetés dans nos cinémas, des éditeurs qui sélectionnent un an à l’avance les romans à vendre dans nos librairies… C’est de l’impérialisme culturel, tu vois ? Les codes, ils se font toujours à la capitale.
» Et encore aujourd’hui, on en est appauvris. À petit feu, ce centre étouffe nos propres institutions qui auraient déjà disparu sans intervention du politique, force nos artistes à l’exil… C’est un monopole, en clair : si un petit arbre pousse à l’ombre d’un grand, si leurs racines se trouvent en concurrence, le petit dépérit toujours. Voilà pourquoi nos acteurs jouent dans leurs films, pourquoi nos écrivains veulent être édités par leurs grandes maisons…
» Alors le match de ce soir, c’était surtout une occasion de leur rendre la monnaie de leur pièce. Ce qui se jouait vraiment, c’était l’opportunité de les regarder de haut, juste pour une fois. Et ce que nous faisons cette nuit, c’est nous venger évidemment, mais c’est aussi affirmer notre propre pouvoir, le revendiquer. Parce que crois-moi, bizuth, toi et moi — et tous les habitants de cette ville, au fond — on a de la puissance à revendre !  »