Trente mille ombres sans corps
Argentine 76, une dictature oubliée
Fiche
- Année
- 2008
Extrait
" Nous avons mouru 30.000 fois, séchés par le soleil, mouillés par le froid des hautes montagnes / nous avons mouru 30.000 fois, noyés dans les yeux de la souffrance, nous sommes devenus les confidents des horreurs, de la logique des armes et du poison des hommes / Ils ont la langue facile, à te couper en sang. / Tant de choses à vous raconter et rien à vous dire / que du silence / du pesant / du vrai / du bruit / des mots / d’éclatantes obscurités / C’est là que vous allez devoir chercher / ne comptez pas sur moi pour vous raconter / je n’ai pas de belles images automnales à vous étaler / pas de cartes postales / pas de douceurs / ni de tranquilles instants / Que du Vésuve / de l'irruptable / des os qui se retournent dans leur cagibi de carcasse / on se gicle dans la mémoire l’huile des visages que l’on espère ne jamais oublier / on se redresse les mouillettes du coin du regard / on s’immortalise dans ces peaux tendues qui sont tournées vers nous et qui sont prêtes à tout dire / à tout raconter / des petites histoires / du vécu / des furies / des grotesques mises en fond / Je suis mouru 30.000 fois / Je ne reviendrai pas de ce voyage / je resterai ici creusant dans les ruines des cendres du passé / comprenez bien, de leur passé / tant de choses à dire / NON / tant de choses à faire / tant à construire / une mémoire ou un contre l’oubli / je suis mouru 30.000 fois / Et dire qu’une seule suffisait à me mettre à genoux / le 22 d’un mois d’août de deux mille six, nous franchirons l’espace des arrivants pour l’autre espace, pour votre réalité / dorénavant, je serai mouillé dans deux racines / et c’est bien comme cela, n’est-ce pas… ? " Laurent Bouchain – Buenos-Aires, 4 août 2006