La rumeur
Fiche
- Année
- 2012
Extrait
Depuis, Madame n’était plus tombée enceinte. Elle se consacrait tout entière à l’art familial, la taxidermie. Elle vivait très bien l’absence d’enfant et recherchait avant tout le silence. La musique qu’écoutait son époux était de trop, elle n’aurait donc pas supporté les cris d’un nouveau né. Elle avait transformé une des dépendances en atelier et une autre en musée. Elle passait toutes ses journées penchée sur des souris blanches avec un scalpel, pour s’adonner à son hobby. A terme, si tout se passait bien et qu’elle n’était pas dérangée, ses souris, dûment vidées et « empaillées », avaient quasi figure humaine, avec des poses et des petits vêtements, des chapeaux ou des ombrelles. Elle commençait toujours par le plus facile, choisir les accessoires : meubles ou vêtements de poupées, ou même ce qui pouvait servir de maison à la souris. Puis, elle incisait avec la précision du chirurgien la peau de la colonne vertébrale jusqu’à la queue pour pouvoir vider l’animal. Il fallait enlever les boyaux, racler les cerveaux. Ensuite, elle aspergeait l’intérieur d’un puissant détergent qui servait aussi de conservateur et dont l’odeur était insupportable. Une fois ce nettoyage terminé, elle remplissait la souris de glaise et renforçait les membres avec du fil de fer, enlevait les yeux. Ses compositions étaient élaborées. Elle avait ainsi créé une scène avec douze souris empaillées rassemblées autour d’une table sur laquelle se trouvaient un maxi-gâteau d’anniversaire et un mini-service de table. Une autre composée de dix danseurs tyroliens et trois musiciens. Mais cela semblait sans lien avec le mal qui rongeait son époux et dont l’évolution avait été, ces deux dernières semaines, spectaculaire. Le vieil archiviste l’avait surpris tournant en rond à la vitesse d’un TGV. Ensuite, il fut témoin d’une autre mutation comme d’un bond en avant dans le temps, d’une transformation en supersonique. Son mal n’était donc pas si passager.