Critiques littéraires
Fiche
- Année
- 2020
Extrait
Rencontre du Cercle de la Rotonde, le vendredi 8 juin à 19h,
à la Bibliothèque de Tournai (Auditorium, rez-de-chaussée)
Entretiens et lectures avec un éditeur et trois auteurs
autour du thème « littérature et société »
Animation : Marie-Clotilde Roose
La littérature, loin d’être un simple divertissement, apporte souvent un éclairage lucide sur des faits de société, et ce faisant, sur la nature humaine. La fiction rend-elle plus supportable la violence intrinsèque des rapports humains ? Parfois, la réalité rejoint ou dépasse la fiction, et l’invraisemblable devient vrai.
Publiant des traductions d'œuvres littéraires de l’Est, les éditions M.E.O. (Monde-Edition-Ouverture) ont vu leurs activités s’étendre à des écrivains francophones et d'autres champs linguistiques. Gérard Adam, écrivain, éditeur belge, accompagnera de ses commentaires deux de ses auteurs.
Marie Niyonteze y a publié en 2011 l’émouvant Retour à Muganza. Récit d’un avant-génocide ; récit de la tragédie rwandaise vue par une rescapée tutsie, revenant sur les lieux du massacre de sa famille, pour donner aux siens une sépulture. « Si la mort n’a pas voulu de moi en 1994, c’est que, en 1990, j’ai failli compter au nombre des premières victimes de ce qu’on n’appelait pas encore génocide. » (p. 38) Retraçant tous les faits (sans pathos ni haine) et les analysant, elle montre que celui-ci a été préparé bien avant, par les divisions introduites par les colons belges et français, et par des élites rwandaises corrompues. L’auteure ne cède pas au voyeurisme (pudeur volontaire) mais n’omet pas de souligner la brutalité aveugle se déchaînant contre ceux qui n’acceptèrent pas les « Dix commandements du Hutu » - y compris des Hutus modérés. « Il est inconfortable de rester otage du passé », explique-t-elle, « mais vivre avec son bourreau est contre la nature humaine » ; elle a écrit ce livre pour lutter contre l’oubli et l’indifférence, et vivre en leur mémoire.
Bozidar Frédéric, né sur une île croate, vient de sortir son 1er roman chez M.E.O., Ciel Seraing, s’inspirant de sa jeunesse en cette ville, avant de devenir officier de marine (e.a.). Thriller policier sur fond de lutte sociale, il met en scène un commissaire chargé d’une enquête sur les meurtres de syndicalistes, par des shakens, (armes japonaises des ninjas), à la veille de la fermeture des hauts-fourneaux de Cockerill, devenu Acielor-Mehttal. Le suspense fonctionne admirablement, le rythme soutenu permet des rebondissements qui permettent d’apprendre au passage pas mal de choses sur les sociétés évoquées (Japon, Inde, Brésil…) et les mœurs de mafias liées à la haute finance. L’auteur parvient à enchaîner des dialogues familiers à des scènes d’action redoutables, laissant supposer des machinations machiavéliques, à l’œuvre dans ces « restructurations » pesant de tout leur poids de désespoir sur les travailleurs, victimes de la « mondialisation » et de mauvaise gestion d’entreprise – quand le pouvoir du Capital l’emporte sur la vie des hommes…
Elise Bussière, diplômée de philosophie, a publié son 1er roman Je travaille à Paris et dors à Bruxelles aux éd. Mols en 2011. Elle brosse un portrait caustique et inquiétant de sociétés internationales de conseil et d’audit, dans un contexte de guerre économique, où la destruction du World Trade Center n’est pas qu’un épiphénomène. Justine y travaille comme consultante et observe ses collègues en entomologiste non dénuée d’ironie : « un défilé de managers, triés sur le volet : le jeune décontracté, le beau mâle affublé d’une cyphose à force de s’être trop penché sur son ordinateur, le jamais-associé, l’asexuée – unique représentante de la gent féminine » (p. 20) Se fiant à son bon sens et sa curiosité, elle apprend vite ce « métier » tissé de contradictions, et se laisse entraîner, au prix d’un travail acharné, dans ce monde de luxe et de vitesse, calculs et profit. Les restructurations cruelles, les réticences de son compagnon, l’épuisement l’amèneront à un retour sur soi : « Je me sens étrangement enfermée dans une errance du désir. » (p. 234) De cette errance, on retient surtout le tracé d’un nouvel écrivain, observateur lucide et perplexe. La bourse ‘Découverte’ vient de lui être octroyée par la Communauté française.
Marie-Clotilde Roose