Les Lichennes

La croûte terrestre n’est plus que cela, une croûte. Une carcasse stérile ou presque, un manteau terreux aux horizons d’ouate. Peu de vies humaines y suffoquent encore, sinon une poignée de communautés hétérogènes et étrangères les unes aux autres. Elles sont nos descendants et descendantes, humanités croisées avec ce qui les maintient en vie. Les chlorophylliennes sont des femmes-plantes, ex-laborantines de bunker, qui filtrent l’eau et l’air et se reproduisent par bouture ; les Arcades, une cité édénique érigée en mobile équilibriste au-dessus de la nappe de pollution ; le Satellite grouille en son refuge hermétique dans les étoiles ; quant à l’Îlot... l’humanité y a cédé la place à une ère de symbioses aquatiques. Quand l’équilibre de ces poches de vie toujours au bord du gouffre se rompt, ne reste qu’un ultimatum fourchu : la métamorphose ou la mort. Quatre personnages narratorices s’engagent dans une quête initiatique qui les mènera aux antipodes des binarismes technophiles dont elles et ils héritent.

Les Lichennes est un roman d’anticipation enraciné dans les écologies queers, à la langue élastique et sonore de celleux qui s’engluent dans des paysages hostiles mais sensuels. Odyssée frénétique intercalée de chants et poèmes courts, le texte frictionne les genres : de la SciFi féministe à la ferveur amoureuse du young adult, en passant par le space-opéra et la fable merveilleuse dont on attend le dénouement comme un verdict.

Fiche

Visuel
Année
2023
Édition
Esaaa éditions
Distribution
Les Presses du Réel

Extrait

    "— Que les hyphes sifflent et fouillent, comme tes mille doigts par-dessous terre, qu’en cette ère de chair et de rouille, ils relient les enfantes à leurs mères.
    En fredonnant, elle parcourt une série de corridors terreux qui la mènent jusqu’au centre névralgique de Carnage : l’Arborum. Comme une vaste chapelle souterraine, cette immense cavité abrite un lac épais et luxuriant, qui plonge en continu la végétation et les travailleuses dans ses vapeurs chaudes. L’orme glabre en est son point culminant et tout autour de ce dernier se déploie une bande de terre plate, propice au recueillement. Euphorbe traverse les fumées pour s’y étendre, enfonçant ses mains nues à même la terre comme des milliers de chlorophylliennes avant elle. 
    D’ici, elle peut regarder ce petit monde s’agiter comme les autres jours, toutes vaquant à leurs activités : les femmes-grenouilles soignent les algues et contrôlent sans relâche la température du lac ; les tactas massent les succulentes ; les thelmées propagent les bons engrais et les cueilleuses récoltent avec parcimonie ce qu’il faut de substances, fruits et fleurs comestibles ou médicinales. Les rafflesias ont si bien pris ces derniers mois que leur fumet vient empester jusque sous l’orme.
    — Pas très mycorhisant, cette odeur, pas vrai ?
    — Fi des humeurs noires si la peau goûte pêche…
    — Ça s’est répandu comme pollen poudré cependant, les plantines n’en demandaient pas tant !
    — Va-t-on devoir désherber les malodorantes ?
    — On en fera des mitoufles.
    — Des mitoufles rougettes pour les sororales, quelle bonne germine !
    — Autre nouvelle fort-biseau : les oreillons perdent patience.
    — Rien ne clinque assez pour ces grands souffloteurs à ce que je vois.
    — Un moindre mal, presque enjolivant. Je leur cracherais bien des girofles, pardéesse !
    — Carnage : des nèfles. Bientôt, nous paiserons comme avant."