Muzungu
Fiche
- Année
- 2019
Extrait
Kigali, Rwanda, 6 avril 1994. Un Falcon 50 Mystère amorce sa descente vers l’aéroport international de Kigali. Il est abattu par un tir de missile un peu avant vingt heures trente. À bord de l’avion, les présidents rwandais, Juvénal Habyarimana, et burundais, Cyprien Ntaryamira. Ils reviennent du sommet régional de Dar-Es-Salaam – Tanzanie – consacré à la mise en œuvre des accords d’Arusha. Avec Dieudonné, Christophe et Jean-Bosco, je suis dans le bureau qui sert de salle de rédaction. Le téléphone crépite. On évoque l’explosion d’un dépôt de munitions au camp de Kanombe. On parle aussi d’une sortie du FPR. Finalement, on apprend que l’avion du président s’est écrasé à Kanombe. Il n’y aurait pas de survivants. On ignore encore qu’il a été abattu. Radio Rwanda confirme à vingt-trois heures. Le téléphone continue de sonner. On mentionne des tirs de roquette. Un témoin raconte qu’il a vu des militaires étrangers sortir d’un endroit appelé La Ferme, à l’est de Kigali, au-delà de l’aéroport et du camp de Kanombe. C’est de là qu’auraient été tirées les roquettes. Un homme rapporte le témoignage anonyme d’un soldat de l’ONU. Il prétend que ce sont des militaires belges qui ont abattu l’avion présidentiel pour le compte du FPR. On tire sur la colline de Masaka. Dieudonné déclare qu’il nous garde pour une édition spéciale. Dans la nuit, on nous informe que l’avion du président s’est écrasé dans les jardins de son palais, à moins de cent mètres de sa femme et de ses enfants qui attendaient son retour. Ce sont probablement des missiles qui ont abattu l’avion. Mais qui est capable de tirer un missile sol-air au Rwanda? Je rentre chez moi vers trois heures du matin. La ville a l’air calme malgré la gravité de la situation. On entend quelquefois des tirs d’armes légères. J’habite dans le centre historique de Kigali, sur la colline de Nyarugenge. L’immeuble de deux étages est divisé en appartements. Il est bâti sur une parcelle clôturée par un mur en maçonnerie. Mon appartement est au premier étage. Il y a un séjour avec une petite cuisine, une chambre, une salle de douche et un débarras. Pas de téléphone, évidemment. L’escalier est extérieur. Les locataires de l’immeuble jouissent des services d’un cuisinier et d’une sentinelle. Le jardin, qui ne doit pas faire plus d’un are, a une forme de L et longe la maison sur deux de ses murs. Il y a un eucalyptus, des arbustes, un appentis pour la sentinelle, quelques outils et les réserves de charbon, deux cordes à linge, ainsi que, dans le fond, un petit poulailler. La sentinelle, c’est Alphonse. Il a l’air inquiet quand il m’ouvre la grille au milieu de la nuit. Il sait, pour le président. Moi, j’ai encore peine à y croire.