Muzungu

Rwanda, printemps 1994. Depuis l'assassinat du président de la République, le pays a sombré dans la violence: dans le nord, un mouvement rebelle constitué de réfugiés tutsi a repris son offensive vers la capitale. Partout ailleurs, les Tutsi sont massacrés par des milices hutu à la solde du pouvoir décapité. Kigali, 28 avril. François est debout dans son appartement, face à la porte que viennent de refermer les miliciens. Derrière lui, une femme blessée souffle bruyamment. Ils la lui ont livrée pour s'assurer de sa fidélité à leur cause. Une cause qu'il a embrassée quelques années plus tôt, en Belgique, après s'être lié avec Robert, un Hutu rwandais. Une cause qui parlait de révolution sociale et de peuple majoritaire. Une cause qu'il a défendue par amitié, par idéal, peut-être pour tromper l’ennui. Une cause qui l'a vu, malgré les avertissements de sa sœur Charlotte, rédiger articles et pamphlets anti-Tutsi, à Bruxelles puis à Kigali où il s'est improvisé journaliste. Une cause que le souffle de cette femme lui retourne en pleine figure. Il prend alors une décision qui scellera son destin. Avec ce roman, l'auteur nous raconte l'histoire d'un homme empêtré dans une aventure qui le dépasse et débouchera sur le dernier génocide du XXe siècle.

Fiche

Année
2019

Extrait

Kigali, Rwanda, 6 avril 1994. Un Falcon 50 Mystère amorce sa descente vers l’aéroport international de Kigali. Il est abattu par un tir de missile un peu avant vingt heures trente. À bord de l’avion, les présidents rwandais, Juvénal Habyarimana, et burundais, Cyprien Ntaryamira. Ils reviennent du sommet régional de Dar-Es-Salaam – Tanzanie – consacré à la mise en œuvre des accords d’Arusha. Avec Dieudonné, Christophe et Jean-Bosco, je suis dans le bureau qui sert de salle de rédaction. Le téléphone crépite. On évoque l’explosion d’un dépôt de munitions au camp de Kanombe. On parle aussi d’une sortie du FPR. Finalement, on apprend que l’avion du président s’est écrasé à Kanombe. Il n’y aurait pas de survivants. On ignore encore qu’il a été abattu. Radio Rwanda confirme à vingt-trois heures. Le téléphone continue de sonner. On mentionne des tirs de roquette. Un témoin raconte qu’il a vu des militaires étrangers sortir d’un endroit appelé La Ferme, à l’est de Kigali, au-delà de l’aéroport et du camp de Kanombe. C’est de là qu’auraient été tirées les roquettes. Un homme rapporte le témoignage anonyme d’un soldat de l’ONU. Il prétend que ce sont des militaires belges qui ont abattu l’avion présidentiel pour le compte du FPR. On tire sur la colline de Masaka. Dieudonné déclare qu’il nous garde pour une édition spéciale. Dans la nuit, on nous informe que l’avion du président s’est écrasé dans les jardins de son palais, à moins de cent mètres de sa femme et de ses enfants qui attendaient son retour. Ce sont probablement des missiles qui ont abattu l’avion. Mais qui est capable de tirer un missile sol-air au Rwanda? Je rentre chez moi vers trois heures du matin. La ville a l’air calme malgré la gravité de la situation. On entend quelquefois des tirs d’armes légères. J’habite dans le centre historique de Kigali, sur la colline de Nyarugenge. L’immeuble de deux étages est divisé en appartements. Il est bâti sur une parcelle clôturée par un mur en maçonnerie. Mon appartement est au premier étage. Il y a un séjour avec une petite cuisine, une chambre, une salle de douche et un débarras. Pas de téléphone, évidemment. L’escalier est extérieur. Les locataires de l’immeuble jouissent des services d’un cuisinier et d’une sentinelle. Le jardin, qui ne doit pas faire plus d’un are, a une forme de L et longe la maison sur deux de ses murs. Il y a un eucalyptus, des arbustes, un appentis pour la sentinelle, quelques outils et les réserves de charbon, deux cordes à linge, ainsi que, dans le fond, un petit poulailler. La sentinelle, c’est Alphonse. Il a l’air inquiet quand il m’ouvre la grille au milieu de la nuit. Il sait, pour le président. Moi, j’ai encore peine à y croire.