Mon lapin

Ma ville natale, c’est l’appartement de Papy Louis.

Rien n’a vraiment changé, dans la ville d’enfance de Gabrielle. Ni les balançoires violettes du Jardin des Plantes ni le parfum Chèvrefeuille de sa mère ni les questions qu’elle n’ose poser qu’à sa grande sœur Clara. Un soleil tapageur à la sortie de la messe, un rassemblement autour d’un buffet campagnard, un enterrement est une fête de famille comme les autres. On cause peu et on ne s’enlace pas. Gabrielle préfère parler dans sa tête. Là, la route vers le cimetière ressemble à un départ en vacances, et l’ancien employé de son grand-père, à James Dean. Là, surgissent des moments de vie passée aux airs de rien : un Noël, un croche-pied, un repas à la pizzeria, une photographie en noir et blanc, comme s’ils avaient quelque chose d’important à raconter ensemble ce jour-là.

Rien n’a vraiment changé, sauf qu’aujourd’hui on enterre Papy Louis. Et un enterrement, c’est un jour idéal pour apprendre à crier. Ou pour tomber amoureuse.

 

Fiche

Visuel
Année
2014
Édition
L. Wilquin

Extrait

<p>&nbsp;J&rsquo;attendais une cath&eacute;drale. Le taxi me d&eacute;pose devant une petite &eacute;glise coinc&eacute;e entre deux blocs de maisons. La fa&ccedil;ade b&eacute;tonn&eacute;e des ann&eacute;es soixante a &eacute;t&eacute; repeinte pour s&rsquo;harmoniser avec les briques du quartier. Ce rose pastel &eacute;voque plut&ocirc;t les drag&eacute;es des mariages. Les photos de sortie d&rsquo;&eacute;glise, convives endimanch&eacute;s et mari&eacute;s blancs sur fond rose, se confondent avec celles de l&rsquo;arriv&eacute;e de la pi&egrave;ce mont&eacute;e. Je pense au discours de Quatre mariages et un enterrement. Accroupie devant la t&eacute;l&eacute;, j&rsquo;avais retranscrit le texte, le doigt appuy&eacute; sur la t&eacute;l&eacute;commande du magn&eacute;toscope &agrave; chaque fin de phrase. &laquo;&thinsp;Nouez des voiles noirs aux colonnes des &eacute;difices.&thinsp;&raquo; Je comprends mal que l&rsquo;on pr&eacute;pare un enterrement derri&egrave;re la fa&ccedil;ade color&eacute;e d&rsquo;un jour de f&ecirc;te.</p>
<p>Je grimpe les marches et entre par la porte lat&eacute;rale avec la discr&eacute;tion exag&eacute;r&eacute;e des retardataires. La c&eacute;r&eacute;monie a d&eacute;j&agrave; commenc&eacute;. Seuls les premiers rangs sont occup&eacute;s. Tout le monde est l&agrave;, pourtant, je le vois d&rsquo;un regard. Au premier rang, &agrave; gauche de l&rsquo;all&eacute;e centrale, Olympe, Michel et Victoire, &agrave; droite, Clara. Derri&egrave;re eux, les visages vieillis d&rsquo;hommes et de femmes parfois crois&eacute;s pendant mon enfance. Je reconnais ma grand-tante et son mari. J&rsquo;aper&ccedil;ois la marraine d&rsquo;Olympe et ses deux fils. &Agrave; la sixi&egrave;me et derni&egrave;re rang&eacute;e occup&eacute;e, je croise le regard de Marc, le gar&ccedil;on des promenades et des lectures. Derri&egrave;re lui, une longue enfilade de bancs vides. J&rsquo;ai envie d&rsquo;en vouloir &agrave; des absents.</p>