Une joie longévive

Une épopée dans le bassin de la Semois

Dans ce livre gorgé d’eau, une humaine asséchée tente de retrouver ses mots en retournant à ses racines. Appelée par la Semois, rivière de son enfance, elle initie un voyage entre la maison de ses parents en proie à un dégât des eaux, la forêt qui entoure le village et les berges de ce cours d’eau emblématique de la province du Luxembourg.

Son eau et tous les vivants de son bassin versant vont la mener à sa propre source dans une épopée qui voit le flux de l’écriture se confondre avec celui de la rivière.

Au-delà d’une déclaration d’amour à la Semois et à sa région, voici un texte à la fois féroce et plein d’espoir, sur les liens entre la faune, la flore et l’homme, mais aussi sur notre capacité à créer et à transcender le réel par les mots.

Fiche

Visuel
Vidéo
Images
Année
2024
Édition
maelstrÖm reEvolution

Extrait

À la lisière du bourg, une voûte sombre et trois chemins de roc clair.

Tous luisent sous la futaie, difficile est le choix ; 

les yeux fermés, 

dans le vacarme nature, je vais. 

 

Les percherons au travail et l’écho 

de leurs pieds m’arrivent de mon passé. 

J’entre en forêt et aussitôt l’odeur

                      de cadavre me capture. 

Les animaux morts peuplent le fond de l’air.

 

Je me déplace seule et mon corps me suit, 

          parmi les splendeurs encore trop vertes, 

c’est le pays des ombres vraies qui m’accueille.

 

                              Mon ouïe guide mes pas plus que le sentier

aux bordures carnages, terre retournée,

                                       terre sanglier,

sèche

sèche

sèche 

Comme ta gargane.

Je fais volte-face. 

    Qui a parlé ?

 

Le silence s’abat. 

J’agite tant mes globes que j’ai

          mal aux orbites.

 

Voilà que j’hallucine 

à peine l’orteil dans les arcanes 

des bois.

 

Je n’entends plus que mon cœur et

je me rends compte soudain que les bruits sont 

          les miens, que c’est moi 

          l’étrangère qui ne sait 

          plus comment 

marcher. 

 

J’ai perdu le sens 

                    de l’écoute

               l’aisance et les pieds.

Le cœur y est, oui 

mais le reste ?

 

à combien de poiseuilles s’écoulent les mots que je ne distingue plus ?

Ralentis, ralentis, ralentis.

 

Là où les troncs s’éloignent, 

je dépasse les polypores qui mangent ce qui meurt 

la mousse étincèle, 

                    bryophytes rassurantes

mais certains endroits du chemin me font peur 

          depuis toujours. 

Depuis toujours.

  Qui est là ?

 

Douceur du soleil qui traverse la canopée ;

je me relâche :

certains endroits, non. 

Le chemin.

Et toutes les routes humaines. 

Je me demande jusqu’où les animaux ont tracé les voies

et l’homme, forcé le trait. 

 

Choisir une perpendiculaire inventée, 

s’enfoncer entre les charmes et les chênes 

qui bruissent paisibles.

Choisir le non-chemin et…

Pardon,

oups,

pardon.

J’ai cogné ma cuisse contre un large conifère.

Là, le cri d’une effarvatte ponctue – tec –

mon cafouillage irrépressible 

stoppé net par

la voix italique.

 

Je sens sa présence, intérieure, tonnerre tranquille,

et les arbres autour paraissent presque mobiles.

 

 Il y a une joie longévive qui se propage 

un écho à l’écho, guttural et si mélodieux que 

                    soudain j’ai le cœur 

                              qui tombe

tombe et se serre

sert

serre 

                    dans la cavité première 

abdominale.

 

Je relève les yeux et je le crois :

          je suis de retour.

Bonjour, Semois.