L'Imitateur

C’était une star de l’imitation qui a connu une descente aux enfers. Ce soir, il revient sur scène. Le public, les critiques l’attendent... Il va leur offrir du “jamais vu”... Dans la salle, sa femme et sa maîtresse sont là... Sur scène comme dans sa loge, les personnages célèbres qu’il imite s’en mêlent. Même le Roi... L’Imitateur en butte avec son passé, ses souvenirs, ses obsessions.. et ses personnages. Une comédie avec et sans masques, tendre et grinçante ou les coulisses inattendues d’un drôle de comique........

Fiche

Extrait

SCENE 6

Espace « scène »
Il se retrouve en live, face public.

L’Imitateur
Et me revoilà sous vos applaudissements.
Vous avez bien bu ?
Le champagne était-il allègrement frappé ?
La serveuse, alléchante ?
(Se penchant dans le public)
A voir la tête de Madame, oui…
Et le saumon, vous avez repéré les omégas 3 ?
Ceux qui en ont dégusté vivront 6 minutes de plus que les autres.
Et donc au prochain entracte, si vous en prenez encore un, vous aurez allongé votre temps de vie de 12 minutes.
Et chaque seconde, ça compte… puisque chaque seconde, nous mourrons d’une seconde.
C’est scientifique.
S’il y a une seule vérité, c’est bien celle-là…
Après le spectacle, vous serez mort de 94 minutes.
Mais grâce au saumon, vous regagnez 12 minutes, 94 moins 12, 82.
Vous n’aurez perdu que 82 minutes d’existence.
Evidemment, si vous vous faites renverser par un chauffard en sortant de ce théâtre ou si un déséquilibré vous mitraille en plein ventre, tous ces calculs ne sont que fariboles.
Et cette vérité ne sert à rien.
Mais je m’égare.
On redevient sérieux et patriote.
(L’Imitateur se met à chanter le début de la Brabançonne ou, bien entendu, le chant national du pays où la pièce est jouée. Le public est censé se lever.)
Tout ce qu’on ne ferait pas pour avoir une « standing ovation »….
Dans quelques années, ce sera le Vlaamse Leeuw obligatoire avant, pendant et après le spectacle.
Ce soir, vous le sentez, j’ai pas vraiment le cœur à faire un spectacle.
Il y a 5 ans, et je ne voudrais pas vous vexer, hein, mais le public était bien meilleur… car, moi, je ne suis pas moins bon.
Au contraire.
Un imitateur, comme le vin fin, ça bonifie avec le temps.
Et puis, il y 5 ans, vous aviez le moral : vous empochiez vos dividendes, vos actions mettaient des kilos de beurre dans vos kilos d’épinards, aujourd’hui, certains ont pas mal de trous dans leur poche et hésitent même à flûter une coupe de champagne ou a mâcher un saumon thérapeutique.
Vous trouvez que je suis moins bon qu’il y a 5 ans ?
(Le Roi) Vous êtes meilleur, Monsieur Josse, et Paola est de mon avis, ce qui est rare…
(Sarkozy) Moi, par contre, et je vous le dis comme je ne le pense pas, j’étais meilleur avant d’être Président de la République.
Faut pas être trop perfectionniste, Monsieur le Président.
On fait ce qu’on peut.
N’est-ce pas, Sire.
(Le Roi) Et on ne fait pas toujours ce que l’on veut, Monsieur Josse ! Moi, je voulais pas être Roi, ni même Prince : vous savez quoi, Monsieur Josse, j’aurais voulu être coiffeur pour dames dans un beau quartier, on papote, papote et on voit de jolies femmes toute la journée. Mais non di dju de non di dju, un Roi, le peuple veut qu’il soit parfait, enfin presque…

J’avais un oncle que j’aimais bien car il ne ressemblait pas à mon père, il était super perfectionniste, il voulait être peintre, mais il n’a jamais terminé son premier tableau.
Il effaçait, inquiet, il recommençait…
Si je l’avais imité, je ne serais jamais monté sur scène.
Il aurait même voulu organiser son enterrement, il avait peur d’arriver en retard.
Raconter des histoires, ça me détend, pas vous ?
Moi aussi, j’ai un besoin de me distraire, de me divertir, je regarde même Deseperate Wife ou C’est beau la vie quand je broie du noir, comme vous, j’essaie d’oublier ce merdier dans lequel « ils « nous ont mis.
On est en plein.
Et pour longtemps.
Trente ans, prédisent les optimistes.
Là, j’improvise plus.
C’est le texte que mon producteur m’a infligé.
(« Attaqué » par ses personnages, il finira à terre)
(Reynders) Mais vous ne comprenez rien à l’économie et à la finance mondiale, mon pauvre Josse ! Je suis une victime non consentante des rapaces de la finance !
(Di Rupo) Moi, fils d’ouvrier, petit-fils d’esclave, arrière petit- fils de serf décimé par la misère et la peste, comment osez-vous m’accuser d’être à l’origine de la crise alors que je la subis de plein fouet et contre laquelle je me bats avec force et vigueur pour que nos concitoyens et concitoyennes grignotent à leur faim…
(Reynders) C’est vous, Monsieur Josse et vos semblables qui vouliez des rendements indécents pour votre fric planqué dans les banques luxembourgeoises, ce sont les citoyens qui ont poussé à la crise…
(Milquet) C’est vrai, merde, ce sont ces cons de concitoyens qui nous mis dans la merde, on fait ce qu’on peut pour vous tirer de votre merdier et vous nous traînez dans la boue…
(Javeaux) C’est pas nous qui avons acheté des maisons en Amérique avec des dollars en chocolat !
(Obama) C’est pas moi, je venais d’arriver, c’est l’autre avec ses copains pétroliers…
(Kabila) Ici, tout va mal depuis Mobutu et tout le monde s’en fout, mais pour moi, tout va bien, merci !
(Obama) Et arrêtez, Monsieur Josse, vous et vos comparses, arrêtez de nous critiquer…
(Di Rupo) Mais oui, il a raison, l’Amerloque, ils finiront par croire que tout ce que vous nous faites dire, c’est vrai !
(Javeaux) Et ce n’est nenni vrai, Dieu m’en est témoin et je suis à jeun… de haschisch.
(Reynders) Et comme la majorité des gens sont des cons comme vous, Monsieur Josse, ils avalent vos stupidités et finissent par nous exécrer !
(Milquet) Vous détruisez la démocratie !
(Di Rupo) Vous ruinez la confiance et sans confiance, la démocratie devient rance.
(Javeaux) Vous saccagez les écobases de notre belle société.
(Mélange des personnages précédents, exaltés) Les censeurs pour les imitateurs ! Des procureurs pour les imitateurs ! Les censeurs pour les imitateurs ! Des procureurs pour les imitateurs ! Les censeurs pour les imitateurs ! Des procureurs pour les imitateurs !
(Il se relève lentement, un peu sonné)
Si je vous comprends bien, vous êtes élus par des imbéciles qui ignorent qu’ils sont des cons et qui sont plus idiots que la moyenne d’entre vous.
(Le Roi) Monsieur Josse, tout à fait entre nous, certains parmi eux, que je ne nommerais pas par charité royale, rivalisent de sottise avec la moyenne populaire.
(Il fait des gestes comme s’il chassait des personnages attachés à ses basques)
Quand ils s’y mettent, tous ensemble…je n’existe plus !
(Court silence.
Il fixe la salle)
J’aperçois le visage de ma femme légitime aux yeux de la société, et je devine dans ses pensées :
(Il l’imite) « Mais reprends ton spectacle, mon chéri, ils ne se sont pas déplacés pour un cours de philosophie politique, mais pour se délasser et se moquer de ces polichinelles »…
Et là, plus loin, ma maîtresse bouillonne aussi, je la vois qui se tortille sur son fauteuil : «Je suis en retard de loyer, Jean, faut que tu te fasses un peu d’oseille, sinon je serai à la porte. Devant « ta » porte. »
Vous les hommes, vous me comprenez, ce n’est pas une sinécure d’être coincé entre deux femmes. Même si j’en vois certains, n’est-ce pas Monsieur ? qui en rêvent !
Moi, je ne peux pas les quitter et elles, elles s’accrochent.
Je me demande souvent pourquoi.
Physiquement, je ne casse rien.
Vous êtes d’accord ?
Je ne suis ni Clooney, ni de Caprio.
Intellectuellement…je ne suis pas grand chose non plus.
Entre Kant, Lacan et Hegel, j’embrouille.
Mais je ne peux pas m’en passer, des femmes.
Deux au minimum.
Mais je suis en bonne compagnie. Henry IV, Louis XIV, Louis XV…. Les Montespan, Pompadour, du Barry… sans oublier notre bon Roi à nous…
(Le Roi) Non de dju de non de dju, Monsieur Josse, n’ébruitez pas ce que tout le monde sait…
Sue le conseil d’un psy, j’ai essayé un homme, un soir, à Hambourg, mais le latex, je suis allergique : le matin, je ressemblais à un eczémateux.
J’ai une idée.
Elles le méritent.
Je vais vous présenter mes deux femmes.
Clothilde, viens.
Monte sur scène.
Fais pas la gênée.
Je viens te chercher.
(Il descend dans la salle et prend une spectatrice par la main, l’installe sur une chaise sur la scène.)
Vous pouvez l’applaudir.
C’est mon officielle.
La vraie.
Celle qui va hériter de… pas grand chose.
Elle fait pas ses 66 balais, hein ?
C’est un grand jour, ce soir.
Clothilde, je vais te présenter Jane.
Non, ne t’en va pas.
Je sais que cela ne te plaît pas et que c’est pas très amoureusement correct mais tu comprendras pourquoi à la fin du spectacle.
(Au public) Et vous aussi !