La colère des simples

Hier, un homme est venu. C’est pour ça que je me suis décidé. Prends un cahier, elle m’a dit, des fois que les feuilles se mélangeraient, ce serait pour ne pas s’y retrouver et puis, tu pourras toujours y glisser quelque chose en plus que d’y écrire.

Donc, cet homme se tenait à la porte. Il ne pouvait pas rester là alors je l’ai fait entrer. Et avec lui, les pires problèmes de toute ma vie. Quand je dis « hier », c’est il y a longtemps, hein, pas vraiment hier, en fait mais voilà, je ne sais plus.

Je tiens à dire aussi que quand je dis « écrire », ce n’est pas tout à fait moi. Moi, je ne sais ni lire ni écrire. C’est Simone qui le fait. Simone, c’est ma femme. Elle est assise, là, à côté de moi, ses grosses lunettes sur le nez, les mains bien à plat sur les feuilles. Je pourrais la décrire mais je crois qu’elle n’a pas envie. Je lui dis ce qu’elle doit écrire, enfin, ce qui sort de ma tête. Donc, c’est moi qui parle mais c’est son écriture. Moi, Lazare, si je savais écrire, je n’écrirais pas aussi penché avec de jolies petites boucles comme des grains de pluie. Peut-être faut-il dire les choses autrement, je ne sais pas. À vous de voir. Bon je commence.

Donc, il y a cet homme. On n’a pas choisi le moment où il est arrivé, hein. Simplement, il vient. Il est déjà entré en fait parce qu’on lui a dit, entre. Et comme on ne peut pas le laisser debout, on lui dit de s’asseoir. Enfin, je lui dis de s’asseoir. Mais on est un peu ennuyé. Surtout moi vu que ma femme est là sans l’être, à ce moment. En réalité, ce n’est plus qu’un tas de cheveux qui ronfle (je m’excuse de devoir dire ça mais c’est la vérité, elle ronfle sur la table). Non pas qu’on ait eu des mots. C’est simplement un peu gênant à dire. De toute façon, j’avais presque tout rangé. Quand j’ai vu qu’il y avait quelqu’un, j’ai tout mis derrière le rideau tel quel.

J’aurais pu offrir quelque chose et ressortir la bouteille mais je n’y ai pas pensé parce qu’on ne lui voyait même pas la tête à Jürgen. C’est comme ça qu’il s’est présenté, Jürgen. Ça aurait très bien pu être une femme d’ailleurs. J’aurais voulu avoir l’avis de Simone mais sur le moment, ce n’était pas possible. J’ai simplement écarté ses longues mèches grises pour qu’il puisse déposer son enveloppe.

Il a dit, je suis seul mais nous sommes plusieurs. J’ai dit, bon. Même s’il n’y avait en fait rien à dire. Il tenait ses bras croisés sur sa veste de cuir. Je sais que vous acceptez de rendre des services si on vous paye, il a dit, à quoi j’ai répondu, dites toujours parce qu’il n’avait pas enlevé son casque et que ce n’était pas des manières. Avec sa veste rouge et sa coque rouge, il ressemblait plus à un playmobil qu’à un homme. Dites toujours, j’ai répété parce qu’il regardait Simone sans rien dire et que je n’aimais pas ça. Sa tête avait basculé et un filet de bave coulait maintenant sur sa joue. Son bras traversait la table et coinçait l’enveloppe comme une bûche un morceau de tôle.

Fiche

Visuel
Année
2020
Édition
Sans Escales
Distribution
Daudin
Diffusion
Pollen