La cense des Hauts Prés
Comment une ferme condruzienne a traversé la Grande Guerre
La famille Chavert vit en Condroz, non loin d’un château, dans la ferme des Hauts-Prés. Femmes et filles portent longue jupe (ou robe) au ras des chevilles.
Adrien Chavert (55 ans), le fermier. Moustachu. Vit pour sa terre et ses animaux.
Louise Chavert (50 ans), la fermière. Généralement habillée de noir. Catholique dévote. Ne sait pas lire. Parle plus volontiers en dialecte local.
Louise et Adrien Chavert ont cinq enfants : Hubert, Émile, Madeleine, Julien et Clotilde.
- Hubert Chavert (31 ans), moustachu, marié à Léontine (33 ans). Léontine ne sait pas lire. Les enfants de Hubert et Léontine, Sophie (11 ans) et Benjamin (8 ans), vont à l’école de Haltinne en sabots.
- Émile Chavert (29 ans), marié à Marie (25 ans). Émile et Marie ont un fils Émilien (5 ans).
- Madeleine Chavert (23 ans). Célibataire, sait lire et écrire. Aide à la ferme et à la boucherie.
- Julien Chavert (20 ans), célibataire.
- Clotilde Chavert (17 ans) a terminé l’école moyenne et lit les journaux chaque matin. Amoureuse des chevaux, elle est souvent chez Auguste, le vétérinaire de Haillot (39 ans). Elle remplace parfois la longue jupe par une jupe à mi-mollets.
Le docteur Gayet (âge respectable, bedonnant). Il a un frère Édouard, plus jeune, et… une automobile.
Le maïeur (âge mûr, embonpoint). Grand patriote. Il possède le téléphone.
Ernest, le garde-champêtre. Uniforme avec képi. Moustache.
L’abbé François, curé du village. Toujours en soutane noire. Pas de moustache. Parfois un large chapeau.
Jules, jeune facteur ayant échappé à la mobilisation. Képi, sacoche. Mécréant. Attiré par Madeleine…
Otto von Essen, officier de la noblesse prussienne. Souvent accompagnés de quelques soldats.
Le Namurois, citadin en quête de nourriture. Se déplace avec sa femme enceinte et une voiture d’enfant.
Le mendiant.
Jean, pilote français.
La sœur institutrice.
Notons qu’il n’est prévu aucun dialogue pour Émilien, Auguste, le mendiant et la sœur institutrice.
Figurants supplémentaires :
Le meunier (et sa brouette de farine) ainsi qu’un groupe de mineurs traversent occasionnellement la cour de la ferme où travaillent parfois un cordonnier, un vannier, un scieur de bois…
Non loin de là, le maréchal-ferrant répare des outils dans sa forge…
Extrait
La lettre du condamné
Arrêté pour espionnage, Édouard a été condamné à mort. Son frère, le médecin du village, reçoit des mains du maïeur, la dernière lettre du condamné.
« à ma vieille maman, mon frère et à toute ma famille,
Il est 20h15’. L’aumônier vient de m’annoncer que ce sera demain. Je ne pensais pas que cela viendrait si vite.
Ai-je bien agi, ai-je opéré les bons choix ? J’ai toujours cru notre guerre juste et nécessaire. Et injuste celle menée contre nous. Mais où se trouve la vérité ? Je n’ai plus la réponse. C’est avec ce doute que je marcherai demain jusqu’au mur criblé de balles. N’ayez crainte, je porterai ma croix. Pour que ma fierté de Condruzien fasse reculer l’ennemi. Je sais que vous êtes à mes côtés, et vos pensées me soutiennent. Vos lettres atténuent mes souffrances.
Hier, j’ai essayé de parler à mon gardien. Il m’a offert des cigarettes. Et ce soir un morceau de viande. Mais je n’ai pas faim. L’aumônier allemand me dit que la mort n’est pas un mur contre lequel on s’écrase, mais une porte ouverte. Ouais, on verra bien.
22h25’. Un ami détenu est venu m’aider à veiller. C’est bien d’être à deux car j’ai peur de craquer. Jusqu’ici, j’ai été plus fou que courageux. Maintenant, je dois trouver la force de dépasser la peur. Et je veux rester droit, malgré toutes les humiliations… et les tortures.
23h10’. Maman, j’ai besoin de ta bénédiction. Je t’offre tout ce que j’ai été. De bien ou de mal. Ton absence emplit tout mon espace. Ton sourire éclaire ma cellule…
Mon frère, je t’embrasse de toutes mes forces. Tu m’as témoigné beaucoup d’indulgence et j’ai souvent oublié de t’en remercier. Tu vois, ce n’est pas moi qu’il faudra pleurer mais ceux qui ont voulu que la guerre soit la seule réponse aux divergences.
Ce mardi 14 août, c’est l’hiver dans mon cœur. Mais le printemps arrive. Le printemps des bourgeons, de la renaissance, de la victoire des morts et des blessés. La victoire des fusillés.
Déjà 04h55’. C’est bientôt l’heure. Quand faut y aller…
J’ai essayé de pardonner à ceux qui vont exécuter les ordres. Et qui auront peur de tirer.
Que vais-je trouver derrière la porte ?
Je marcherai vers le poteau, entre le doute et l’espérance, entre la trouille et le calme de celui qui arrive au bout du chemin. L’aumônier me répète que l’amour est plus fort que la mort. J’ai du mal à l’écouter.
Je vous tiens par la main. Les exécuteurs, je vais les fusiller des yeux, pour qu’ils comprennent qu’ils ne tuent que mon corps. Car mon esprit, je vous le lègue.
Édouard. »