Le livre d'albâtre
Mons 1572
Au siècle de la Renaissance, pendant que la ville de Mons édifie son beffroi, le chapitre des chanoinesses a fait appel au sculpteur Jacques Du Broeucq pour décorer sa collégiale Sainte-Waudru. Parce qu’il est sans doute l’artiste qui maîtrise le mieux la pierre d’albâtre.
En 1572, le Hainaut fait partie des Pays-Bas espagnols (partie méridionale). Il relève donc de Philippe II, roi d’Espagne, et plus particulièrement du duc d’Albe qui gère les Pays-Bas. Le Hainaut (Mons, Tournai et Valenciennes) est sous la responsabilité directe du Grand Bailli Philippe de Noircarmes.
Profitant de la bienveillance d’une partie de la population envers la cause protestante, le comte Louis de Nassau, frère de Guillaume d’Orange, occupe la ville par surprise. Les Montois se retrouvent prisonniers d’une guerre de religion et… d’une armée espagnole qui entend reconquérir la place. Au cœur de la ville, comme dans la région, certains soutiennent la cause catholique. D’autres, épousant les thèses calvinistes, n’hésitent pas à s’opposer aux armées espagnoles… à moins qu’ils ne luttent simplement contre les impôts et l’arrogance du duc d’Albe. Avec d’autres artistes, Jacques Du Broeucq est de ceux-là.
Les combats sont rudes, les pertes importantes. Les chanoinesses apportent soin et réconfort à tous les habitants, sans distinction de provenance ou de religion.
Amours, amitiés, inquisition, trahisons, résistance, famine… tôt ou tard, la ville tombera. Qu’adviendra-t-il alors de ceux qui ont combattu les armées espagnoles ? Les Calvinistes convaincus accepteront-ils d’abjurer ? Jacques Du Broeucq sauvera-t-il sa peau et celle de ses amis ? Que deviendra la belle Magdalena ? Les chanoinesses pourront-elles continuer leur mission sociale et la construction de leur collégiale ?
C’est cette histoire, du 24 juillet au 24 décembre 1572, que fait vivre Le livre d’albâtre.
Extrait
Le chant du prisonnier
Dans les cachots du Grand Bailli,
Les relents sont cadavériques,
La crasse est apocalyptique
Et dans leurs tâches hygiéniques,
Les rats dérangent ma musique.
Dans les cachots du Grand Bailli
Le soupirail est symbolique :
À travers des barreaux obliques
Il montre le bleu romantique
Des paradis philosophiques.
Dans les cachots du Grand Bailli
Comme dans une basilique,
Je sens des ondes bénéfiques,
Je m’élève et je communique,
Je fais preuve d’esprit critique.
Dans les cachots du Grand Bailli
Je vis des rythmes anarchiques,
Je sens des élans schismatiques
Griffer ma culture encyclique.
Suis-je encore un bon catholique ?
Dans les cachots du Grand Bailli
Je chante l’audace gothique
Autant que les chants monastiques ;
J’entends que le beffroi réplique
Avec son carillon laïque.
Dans les cachots du Grand Bailli
La corde au cou, je revendique
De m’être montré pacifique
Dans les joutes théologiques
Et les querelles linguistiques.
La peste soit du Grand Bailli !