Quand les parents foirent

Etre parent, c'est s'exposer à de multiples situations où il s'agit d'assurer...

Fiche

Année
2003
Édition
INCONNU

Extrait

Raconter des histoires
Pas gai-gaies
De parents qui foirent

Des histoires de tout
Des histoires de nous…

Des histoires de parents qui quittent, laissent et délaissent
De parents qui n’ont pas le temps, tant ils courent
De parents qui courent tant qu’ils en oublient pourquoi
De parents absents parce qu’ils font les pauses
Parce qu’ils sont de garde,
Qu’ils voyagent autour du monde
En Jet ou à la rame
De parents qui galèrent, qui cherchent où se poser
Ou se reposer : vacances lointaines
Avec cartes postales : mon chéri, je t’aime
De parents qui partent en guerre
Meneurs d’hommes ou chair à canon
Contre les mauvais, contre le moulins

Des histoires de parents désoeuvrés
Mais qu’y a-t-il à raconter ?
Mauvais sujet : nul jamais ne les a vu se lever
Se laver, se vêtir et partir
Travailler
Mais qui ne l’ont pas méritée
Cette grasse matinée
Jetés pour un machine plus …
Une machine plus quoi ?
Plus n’importe quoi
Moins humaine, en tout cas
Des parents blessés dans dans leur orgueil
Dans leur cœur, leur âme d’enfant
De parents immatures
Ou vieux avant d’avoir été

Raconter des histoires de parents trop
Trop mous, trop cools, trop relous
Trop présents, trop pesants, trop pressants
Trop tout
De parents fais pas ci, fais pas ça, tiens-toi droit
De parents supérieurs et impunis
Premiers de classe, évidemment
De ceux qui auront toujours raison
Toujours la plus grosse
Toujours le dernier mot
Qui se croient tout permis pourvu qu’ils arrosent
Et qui, donc, arrosent, jusqu’à plus soif
De coups à boire, de coups de fusil
De bons coups à faire, de coups qui foirent
Des parents qui non, non et non
par principe, c’est non
Pour qui un peu c’est déjà trop
Et tais-toi quand je parle
De parents interdits

Mais des histoires aussi
De ceux qui permettent tout
Parce qu’ils n’ont pas appris
Ou qu’ils ont trop bien appris
Les limites à ne pas respecter
De parents pleins ou sans tabous
Parents impudiques
Parents pas pratiques pour un sou
Prents prêts à tout, mais par amour !
A tout. Et surtout à tuer père et mère
Ou de ceux qui parlent d’amour
Comme on parle du cours de la bourse
Comme d’une impossible quête
Avec des mots coupants et glacés
Aves des petites culottes dans les yeux

Et des histoires de ceux qui ne parlent pas

Parler, il le faut, de parents défigurés, handicapés,
Accident de la route ou du travail,
Accident de parcours, chagrin d’amour
De parents suicidés
De parents qui médica-mentent,
Eteins-moi ce pêtard, sers-moi plutôt à boire
Puis qui prennent le volant
Qui vont à plus de cent
Dans les rues du village
Quand leur môme est couché
Qui adorent leur voiture, leur maison et leur chien,
Qui ignorent leur voisin
Qui battent leur conjoint
Avant de courir au casino, au bordel ou à la messe

Puis faudrait pas oublier
Des histoires d’artistes, trop occupés à créer
De sportifs, à gagner
De pédagogues, à tout ré-ré-expliquer
De toutes les mères Teresa, les Saint-Bernard
Les ONG à eux tout seul
Qui laissent leurs enfants
Pour sauver ceux des autres

Dire, pour ne pas les oublier
Ces histoires d’un autre siècle
De femmes qui excisent d’autres femmes
De belles-mères, de mégères, de marâtres,
De mères poules, qui castrent, qui étouffent,
Folcoche, Jocaste, et génitrix,
Déméter, Venus, Hera
Ces histoires de tous les temps
De pères tyrans
Morts en martyrs
Et plus présents, écrasants, encore
Sur la cheminée que de leur vivant

Dire au monde entier
Ces histoires de parents morts et pas toujours enterrés,
Déportés
Pour que jamais plus on ne puisse dire
Qu’on ne savait pas

Sans oublier les histoires qu’on ne saura jamais
Celles de tous les portés disparus
Ceux, partis s’acheter un Zippo,
parce que les allumettes, quand même, ça craint
Ceux qu’on appelle à la télé, « Wanted »
« Perdus de recherche » comme l’autre disait
Et qu’on ne retrouve jamais
Même que parfois on se dit que c’est mieux

Puis toutes ces histoires banales
De parents sans confiance
Ni dans l’un, ni dans l’autre, ni en soi, ni en rien
Les caïds et les flippés, mais ne serait-ce pas pareil ?
Les fichés, troussés, recherchés
Ceux qui volent, violent, violentent,
Montrent le mauvais exemple
Mentent et argumentent
Ceux qui passent toujours
Entre les mailles du filet
Et ceux qu’on enferme, que l’on prive
De liberté, de leurs enfants
Parents en quarantaine, isolés, haute sécurité,
Que l’on visite derrière une vitre, sans pouvoir les toucher
Elle est pour qui, la peine ?

De parents qui voudraient bien
Qui savent qu’ils doivent mais
Car il y a toujours un mais
Ceux qui culpabilisent trop ou pas assez
Les mères qui portent sans aimer
Qui n’ont pas choisi d’être mères
Les pères qui attendent
que ça marche ou que ça parle
De parents qui renient Ogino au nom de Dieu
Et puis, et puis, horreur de la modernité
Ceux qui jouent aux apprentis sorciers
Et qui se font cloner

Mais des histoires aussi
Oh oui
De père modèle et de mère parfaite
Ou vice versa, si vous préferez
De ceux que jamais personne ne pourra égaler
Et surtout pas nous, pas vous, pas moi

Surtout pas l’enfant
Noir, jaune, rouge, blanc, albinos
L’enfant différent, l’enfant d’immigré, l’enfant diminué
L’enfant de star ou l’enfant starifié
L’enfant élevé comme un trésor
L’enfant du viol qui paye, à chaque minute, la faute d’exister
L’enfant si, tant, trop attendu, qu’on le prend pour Dieu
Qu’il se prend pour Dieu
Et même qu’on espère qu’il ne se reproduira pas

L’enfant enlevé par un de ses parents
Qui, sans doute, l’aime, à sa manière
L’enfant enlevé à ses parents
Trop pauvres, trop sales, trop violents, trop peu instruits
L’enfant de divorcés, écartelé
L’enfant du couple marié qui s’écartèle
L’enfant d’une pilule vomie, d’un préservatif oublié
L’enfant infecté, contaminé
Condamné
Avant même d’être né
L’enfant qui sniffe la colle pour oublier
Qui vole pour pas mourir
Qui pique pour le plaisir
Qui se pique, sans avenir
Et qu’on ne voit même s’automutiler
Appeler
« Aimez moi », disent les coupures à ses poignets
et qui devrait respecter celui qui lui répond
« Ne t’en fais pas, c’est pas grave, ça va passer »
Qui doit prendre rendez-vous avec Monsieur son père
Pauvre petite fille riche
Jeune fille aus allumettes
Orphelin de Caucesscu
Enfant du Lebensborn, mesuré, calibré
Enfant du Kosovo et d’Arménie
Enfant du Rwanda qui a tout vu
Qui a eu le malheur de naître là, à cette époque-là
Avec ce nom-là, cette tête-là
L’enfant qui s’est trompé de sexe
Que l’on nie et que l’on noie
L’enfant soldat
Face à l’autre, une étoile sur la poitrine
L’enfant qui n’a pas eu le temps
D’être enfant
L’aîné qui éduque ses parents
Le dernier d’une famille si nombreuse
Qu’on en oublie de les compter
Oh, lui ou son frère, c’est kif
L’enfant si sage qu’on l’oublierait
Et qu’on l’oublie, parfois,
Pas souvent
Mais parfois quand même
Le bouc émissaire
C’est toujours lui qui a commencé
L’enfant préféré
Que les autres jalousent
Sans penser au poids de sa culpabilité
L’enfant qui n’aura jamais le dernier mot
Le dernier jeu vidéo

L’enfant qui a tout mais qui n’est pas.