Tina Noiret

  • Écrit / Spectacle vivant / Multimedia / Audiovisuel

Le Caprice des dieux

J’ai cessé d’écrire comme de vieillir un soir d’avril. Ce soir-là, la mer était brune, marron, et presque noire aux confins. Elle charriait déjà sur les brise-lames une odeur d’algues, de parchemin et de pourriture. Dans cette écume, j’ai jeté pêle-mêle un bon millier de pages éparses, une centaine de nouvelles, deux ou trois romans inachevés, un essai et des millions de rimes sans suite, sans vers. Une boue de mots et de souvenirs qui depuis des lustres ne pesaient presque plus rien, à peine l’âme des morts dans les sarcophages. C’était en avril 2000, je m’en souviens et la mer ce soir-là, semble-t-il, crachait un vent plus sauvage, comme si elle brassait les souvenirs des écrivains déchus de toute la planète. Odeur de voix flétries, d’algues pourries, de cadavres et de renaissances. Sac et ressac d’échos, de mots perdus, amers, errants et délétères, abandonnés aux tourments de la matière. Un âpre goût de sel, de souvenirs séquestrés, éparpillés au vent, à l’océan, à la perte immonde et infinie. De retour chez moi, ce soir-là, les bras légers et l’esprit dégagé, sur le pas de ma porte était posé un petit tas de feuilles numérotées, agrafées. Le cadavre d’un texte m’était revenu sans que je sache encore si c’était le point final de mon histoire enfin couchée sur le papier ou la prolifération indéfinie de ce rien. https://www.amazon.fr/Caprice-dieux-Tina-Noiret-ebook/dp/B01HRKBTZ0

Fiche

Visuel
Vidéo
Année
2016

Extrait

Les silhouettes élégantes qui déambulent ressemblent à des figurines magiques tirées par des fils occultes.

Syndromes de Peter, harcèlements, tous les vices des grandes institutions règnent ici, dans les sous-sols. Jusqu’à faire travailler un syndicaliste au service des documents confidentiels en face d’une caméra de surveillance pointée sur son visage. Jusqu’à ce que mort s’ensuive.

« Avant de travailler ici j’ai connu les milieux glauques. Ceux de la drogue, à Amsterdam, à Paris. J’ai dormi dans des squats, sous des ponts, parmi des camés, mais nulle part au grand jamais je n’ai rencontré de serpents venimeux, d’hyènes souriantes comme ici… Plus l’homme se croit haut placé dans l’échelle sociale et plus il fait preuve d’inhumanité, de mesquinerie, de violence.

La vulgarité ne crie jamais « Va niquer ta mère, fils de pute », la vraie vulgarité n’adopte jamais ce registre bas de gamme. Elle sait où se loger, plutôt dans les belles familles, dans la noblesse des carrières héritées de père escroc en fils débile.

La vraie vulgarité est une blague aristocratique, elle se lâche comme ça… mine de rien… et tue en plaisantant… ! » lui dit un jour Luz, une fonctionnaire portugaise chargée d’établir la connexion de l’intranet des nouveaux venus. Luz et Ariane militaient dans la campagne « Women who do IT », un jeu de mots qui s’amusait de l’homonymie entre le pronom anglais et l’acronyme d’Information Technologies. Elles étaient les seules représentantes de la gent féminine à cet endroit dans ce métier, des pionnières, des #stars. Leur réputation les précédait dans toutes les réunions. L’avenir brillait pour elles et elles s’amusaient comme des folles. Mais le contrat d’Ariane n’a pas été renouvelé.

Opiniâtre comme une teigne après sa vie de galère, Luz s’accrochait à son poste et épousa en sus un lord anglais qui se fossilisait au département Bibliothèque. Alors seulement elle prit sa retraite anticipée après de longs congés maladie. Son foie n’avait pas survécu à sa folle jeunesse. Elle finit par divorcer. Sa liberté asphyxiée se vengeait du système dont elle profitait. La classe.

En traversant la rotonde dans l’atrium, « Confluences », un rêve volatile matérialisé d’Olivier Strebelle, jeu architectural métallique soutenu là comme par magie, opère la jonction entre plusieurs étages.

Cet oiseau géant au plumage d’acier suspendu on ne sait trop comment dans les airs, plonge dans les entrailles du bâtiment, mouvement des vagues dans son plumage, brise légère, prêt à s’envoler, ou déjà échoué dans un mouvement chtonien.         

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Extrait d'une critique sur babelio :

Tina Noiret lève le voile sur les sièges des institutions européennes et les personnages qui y évoluent. Joueurs invétérés pour lesquels les autres humains ne sont que les pièces de leurs jeux. le verre y est aussi transparent que les desseins sont opaques. Les enivrants tableaux se succèdent.

Les idéaux se heurtent violemment à ce miroir aux alouettes ivre de son pouvoir, qui n'est pourtant que somme toute assez factice

Les mythes et les astres se plient à s'incarner dans ces décors mais ne trouvent dans cet exercice que de bonheur très éphémère.

Une histoire entre deux personnages, exemples concrets d'une réalité globale portée à notre réflexion. le tout diablement bien écrit !

Et ce n'est pas d'une écriture unilatérale ou empirique, c'est la conséquente part d'un échange appelé à se continuer bien au-delà du point final, et bien au-delà des mots qui ne sont que la partie immergée d'un iceberg dont la curiosité nous tenaille pour aller plus loin. La nuit suivant la lecture, j'ai d'ailleurs rêvé que je trouvais avec bonheur des pages supplémentaires à cet ouvrage...