Sur Facebook, il y avait une chose fascinante à propos de mon ami Lambert. Il ne se plaignait jamais. Jamais il ne parlait de ses journées harassantes au travail. Toutes ces fois où, vers les midis, il quittait son poste de travail emporté par ses lourds godillots de sécurité qui lui donnaient un faux air d'automate. Lorsqu'il se parquait machinalement dans les longues rangées des tables du réfectoire et qu'il s'asseyait toujours à la même place, depuis le jour de son embauche.
Jamais il ne mouftait à propos de la solitude qu'il ressentait lorsqu'il se rendait au restaurant d'entreprise avec sa boite à tartines et en repensant à ses rêves de gosse. Le fromage blanc, le petit berlingot de jus d'orange, les « Referme bien ta boîte avec l'élastique mon chéri ».
« La voilà ta vie, Lambert », il pensait, en tartinant sa tranche de pain de fromage blanc. Et il en avait plein le cul, évidemment. Il avait peu la conscience de la révolte mais sentait néanmoins que sa vie n'avait plus beaucoup de sens. L'air de rien, Lambert avait plutôt bien tenu le cap. Il avait su fermer sa grande gueule de Lambert pendant toutes ces années. Comme la plupart des gens, il avait su contenir sa haine pour ne la restituer que dans la sphère privée ou sur la route, au volant du Touran équipé de ses larges jantes en aluminium. Il avait réussi tout un temps à refréner sa haine en investissant dans le Home Cinéma et la cuisinière Design. Il lui avait semblé que ses efforts furent récompensés. À force d'humiliations et de renoncements, l'ouvrier en chef était devenu le roi de l'emballage en celluloïd biologique. À la date anniversaire des quinze années de renoncement à tous ses rêves, son chef, un contre-maître, avait décidé de faire imprimer un immense poster à la gloire de l'unité de production de la société Ontex. Lambert posait dessus en souriant derrière la machine qui avait englouti la moitié de sa vie.
Mais qu'aurait-il pu bien faire d'autre notre Lambert? Il était con comme ses pieds.
Endocrinologue ? Opérateur de centrale nucléaire ?