Une maman louve
Elle a la robe de cotonnade trop large, le décolleté qui baille en toute indiscretion sur des seins lourds de plusieurs années de lactation.
Elle a quelque chose en elle d'une mère qui a les enfants dans la peau.
Elle vient de s'octroyer, en notre compagnie, quelques jours loin de sa petite famille, et on voit bien qu'elle goûte chaque instant, qu'elle ne rate pas une seconde de cet éloignement profitable pour ses recherches. Le soir, il fait toujours aussi chaud et nous discutons tous autour d'un verre de vin blanc bien frappé.
Il fait si chaud que la petite fille de notre logeuse n'arrive pas à dormir et vient à passer dans la cour où nous nous sommes tous installés pour le plus grand bonheur des moustiques voraces.
La fillette a amené un ballon et se cherche des compagnons de jeu. Après notre longue journée de travail, nous nous prêtons de bonne grâce à l'exercice : lancer doucement la balle pour qu'elle puisse l'attraper facilement, faire semblant de la lancer, la cacher dans notre dos,... Au bout de quelques minutes, la petite ne veut plus jouer qu'avec Elle, la plus douée à ce jeu puéril qui doit lui rappeler ses petits avec qui Elle vient de parler au téléphone et à qui Elle a souhaité une bonne nuit avant de les rassurer, de leur dire qu'il ne restait plus que « cinq jours dormir » avant le grand retour de maman.
Nous, les autres, nous pouvons nous remettre à discuter de choses sérieuses, la petite ne nous veut plus, la petite veut Elle, la petite veut que ce soit Elle qui la reconduise jusqu'à sa chambre, Elle qui la couche, Elle qui lui donne un bisou avant de s'abandonner au sommeil profond des petites filles fatiguées.
On dirait que d'Elle émane ce qui serait l'effluve parfaite d'une mère, qu'une mère comme Elle a un parfum que les enfants repèrent entre mille autres, une odeur d'animal au ventre moelleux, à la fourrure chaude, où il fait bon se lover.
Quand la petite est partie, Elle nous rejoint et nous conversons encore tard dans la nuit. A chaque évocation d'une célébrité, d'une personne politique, à propos de laquelle nous avons une critique à formuler, Elle en vient toujours par conclure, en guise de blanchiment absolu : « mais c'est tout de même une bonne mère, on dit qu'elle s'occupe très bien de ses enfants ».
Certaines d'entre nous ont, comme Elle, aussi des enfants. Mais nous ne transpirons pas autant la maternité que celle-ci. Quant à celles qui n'en veulent pas...
Aux petites heures, j'ai rejoint ma chambre et je me laisse songer aux mères qui, en l'espace d'un instant et, dit-on, dans l'intention de les épargner d'un autre malheur, égorgent leurs petits, les jettent dans le vide, les étouffent, les empoisonnent, les noient, ces mêmes mères aux seins lourds après des années d'attention aimante.
Si l'homme est un loup pour l'homme. Cette femme pourrait-elle, elle aussi, se faire louve pour ses enfants, le ventre chaud et la dent fatale ? Une Médée en costume contemporain.