Mort du colibri

Un scientifique renommé est retrouvé sans vie sous sa serre.

Très vite, les habitants de Montigny-le-Tilleul — où un centre commercial doit voir le jour — sont incriminés : un vétérinaire sans liquidité, un promoteur sans scrupule, un antiquaire sans gêne, une pharmacienne sans sentier vicinal, une infirmière sans amants, un négociant en whisky sans Écosse et une veuve sans villa.

Tous font l’objet d’une enquête judiciaire rocambolesque rythmée par l’actualité internationale, la formation d’un gouvernement belge, les catastrophes naturelles et l’arrivée du centre commercial…

Le pouvoir de l’argent et le consumérisme sont abordés avec humour et désinvolture au cours de cette enquête qui déstabilisera plus d’un lecteur, tant elle est un prétexte à décrire au vitriol notre société.

Pourquoi les inspecteurs Delbart et Inès Ndongo éprouvent-ils tant de difficultés à clore cette affaire ? L’originalité demeure-t-elle le profil atypique de la victime ou bien le mobile inclassable du meurtrier ?

Fiche

Visuel
Année
2023
Édition
Lily’s Editions
Distribution
MSD
Diffusion
MSD

Extrait

Un scientifique renommé est retrouvé sans vie sous sa serre.

Très vite, les habitants de Montigny-le-Tilleul — où un centre commercial doit voir le jour — sont incriminés : un vétérinaire sans liquidité, un promoteur sans scrupule, un antiquaire sans gêne, une pharmacienne sans sentier vicinal, une infirmière sans amants, un négociant en whisky sans Écosse et une veuve sans villa.

Tous font l’objet d’une enquête judiciaire rocambolesque rythmée par l’actualité internationale, la formation d’un gouvernement belge, les catastrophes naturelles et l’arrivée du centre commercial…

Le pouvoir de l’argent et le consumérisme sont abordés avec humour et désinvolture au cours de cette enquête qui déstabilisera plus d’un lecteur, tant elle est un prétexte à décrire au vitriol notre société.

Pourquoi les inspecteurs Delbart et Inès Ndongo éprouvent-ils tant de difficultés à clore cette affaire ? L’originalité demeure-t-elle le profil atypique de la victime ou bien le mobile inclassable du meurtrier ?

— Un trésor ?
— Oui, un trésor : un lopin de terre.
Diane observait son mari par-dessus son menu grand ou-

vert.
— Tu recommences ? demanda-t-elle.
— Un lopin de terre qui produit à l’envi leur nourriture,

toute l’année.
— Je le savais. Tu recommences.
Elle déposa le menu sur la table déjà dressée.
— Laisse-moi terminer mon histoire.
C’était leur toute première sortie en couple depuis la réou-

verture des restaurants restés fermés lors de cette ultime pan- démie. Diane étrennait une tenue et portait bijoux et talons hauts pour l’occasion.

Elle reprit sa lecture :
— Noix d’entrecôte ou jarret de porc marbré ? J’hésite.
— Sais-tu que, chaque soir, ces familles argentines sortent

bongo, castagnettes, claves et charango pour danser ensemble et faire la fête ?

— Victor, que prendrais-tu, à ma place ?

— Qu’ont-ils à nous envier ces Argentins, à ton avis ? Pas grand-chose... Je te le dis, souffla-t-il.

— Tu recommences ! C’est toujours la même histoire avec toi, Victor.

— C’est une histoire vieille comme le monde. Sénèque di- sait déjà ceci : «Le plus grand trésor de l’homme consiste à vivre avec peu, tout en restant satisfait. Car le peu ne manque jamais. »

— Nous possédons tropde biens? Est-ce cela qui te chif- fonne ?

Il opina du chef.
— Quand cesseras-tu ?
— Je trouve que nous consacrons trop de temps à vouloir gagner toujours plus d’argent pour satisfaire nos besoins ma- tériels qui ne sont jamais comblés.

Elle haussa les épaules et reprit la lecture du menu.
— Maki d’huîtres ou sphères de foie gras ?
— Et, nos besoins ne sont jamais comblés parce que nous

les reconduisons sans cesse. C’est une sorte de boucle de ré- troaction positive.

— Pfft, c’est toi qui tournes en boucle, Victor, dit-elle en haussant les épaules.

— Crois-moi. La recherche du bonheur par la consom- mation est vaine. Il faut changer ce mécanisme. Changer ce mode de vie.

Diane et Victor Peeters s’étaient installés à la table qui por- tait le numéro treize d’un restaurant bruxellois très prisé, et très étoilé aussi. Ce soir, elle fêtait son anniversaire dans ce cadre somptueux, aux plafonds ornés de dorure et aux murs moirés.

— Diane, ne trouves-tu pas que ta surconsommation fa- çonne ta vie de façon omniprésente ?

— C’est ton discours qui façonne ma vie de façon omni- présente, marmonna-t-elle.

Diane s’interrogeait :
— Tartare de lapin ou turbot breton ?
— Cette surconsommation est en train de «dévorer» la

Terre... Et nous avec.
— J’ai choisi le menu à six services avec risotto de soja aux

huîtres, foie gras poêlé, pain perdu de sole au caviar, homard miso, spaghetti de ris de veau et dessert, affirma-t-elle. Et toi ?

— Moi ? ...J’ai choisi aussi.

Mais, Victor demeurait très éloigné de ces décisions d’ordre culinaire. Il voulait opérer un tournant comportemental radi- cal. Et vite.

— Et, qu’as-tu choisi, Victor ?

Il la fixa et dit :

BERNADETTE LATOUR

— J’ai choisi... de mener une vie davantage centrée sur les valeurs essentielles comme...

À cet instant, la porte de la cuisine s’ouvrit sur un garçon de salle aux bras chargés d’assiettes garnies de mets raffinés. Malgré la musique d’ambiance - un concerto classique - of- ferte aux convives, Victor put entendre le début des informa- tions radiophoniques du jour.

« Mesdames. Mesdemoiselles. Messieurs. Voici les titres.

Consommation. Nos modes de vie et notre utili- sation massive des ressources planétaires contri- buent à la pollution de l’air et au réchauffement de la planète... Nous produisons et consommons plus que jamais... Où allons-nous nous arrêter? Quand cette croissance prendra-t-elle fin? ...», annonçait une journaliste dans l’indifférence générale du restaurant, avant que le portillon de la cuisine ne se referme.

Avant de quitter leur demeure de Rhode-St-Genèse pour se rendre à la capitale, Diane avait surpris son mari sur le point d’extraire son cadeau d’un tiroir. La forme rectangulaire et al- longée du paquet laissait penser à un écrin à bijoux. Peut-être enfermait-il une montre, un ras-de-cou ou un stylo plume? Non, pas un stylo ! Pour Diane, cela aurait été beaucoup trop commun.

— Ma chérie, je te l’offrirai au dessert, annonça-t-il au deu- xième service.

— Comme tu voudras, souffla-t-elle impatiente.

L’an dernier, à cette même occasion, elle avait reçu de son mari un grand carton à chapeau. Alors qu’aucun couvre-chef ne figurait dans la boîte, elle fut surprise d’y apercevoir un billet pour une croisière autour du monde en solo. Elle n’avait pu cacher sa déconvenue.

— Tu voulais courir le monde. Voilà ! Le monde est à ta portée !, avait annoncé Victor. Mais en vérité, elle avait préféré voyager sur terre. Elle avait rêvé de belles escapades au volant d’une voiture de collection : une Aston Martin – comme celle que conduisait Florian, l’ami de Victor.

— Cette année, tu ne seras pas déçue par mon cadeau, annonça Victor au troisième service.

— Un présent de luxe, j’espère, insista-t-elle, l’air provo- cateur.

— Comme tu n’en as jamais reçu auparavant, ma chérie.

Diane attendait avec impatience le dessert comme l’énig- matique paquet allongé que Victor dissimulait dans la poche de son pardessus. Dieu seul savait ce qu’il contenait. Un nœud de cou en soie Gucci ? Une ceinture Louis Vuitton ? Un article Dior ?

Le repas se déroula avec son enchaînement de plats raffinés et variés. Les assiettes se succédèrent avec leurs contrastes de couleurs et leurs compositions asymétriques. Les aliments et les vins se conjuguèrent.

Ensuite arriva le dessert tant attendu.

Maladroitement, Victor mit la main dans la poche de son pardessus pour extraire le présent.

— Voici ton cadeau, ma chérie. Qu’il soit le signe d’un renouveau !

Diane nota que le paquet provenait d’une bijouterie bruxel- loise renommée et s’empourpra. Elle dénoua avec délicatesse le ruban de soie blanc, déchira le précieux papier argenté et démasqua un écrin en velours noir. Elle contempla son mari avec fierté et le remercia déjà du regard.
Elle l’imagina auprès du joaillier chez qui il s’était rendu

pour cet achat, prendre du temps pour elle, choisir le plus cher des bracelets pour elle et l’acquérir pour elle.

Avec précaution, elle ouvrit le coffret et découvrit son contenu.

— Est-ce une blague ? demanda-t-elle, stupéfaite.
— Non.
— Que dois-je comprendre ?
— La véritable valeur des choses, ma chère.
Diane ne savait pas détacher ses yeux de la teneur de l’écrin. Comment Victor pouvait-il se payer sa tête, à ce point?

Que croyait-il ? Pour qui se prenait-il ? Comment pouvait-elle accepter un tel présent ?

— C’est le symbole du bien-être, de l’abondance et de la santé, annonça-t-il, l’air satisfait.

— Est-ce bien une... ?

— Je l’ai sortie de terre ce matin. C’est la première de la saison. Une hâtive.

Elle le fixait d’un regard noir.
— Tu m’offres une... ?
— Oui, une carotte. Le luxe n’est autre que le fruit de la

terre. À l’avenir, j’aimerais que tu en tiennes compte. Finis les dépenses, Diane !

Lentement, elle prit le temps de remplir son verre du mil- lésime Nuits-Saint-Georges.

Ensuite, elle leva son verre, avec plus de détermination que de précipitation, et envoya une rasade de rouge au visage de Victor, d’un geste assuré et d’un seul trait.

— Diane, que fais-tu ? demanda-t-il, horrifié.
Puis, il restait coi, sa chemise maculée de rouge.
Quant à Diane, face à son mari baptisé de la sorte, elle ne put s’empêcher d’étouffer un rire nerveux.