Danielle Losman

  • Écrit / Son / Spectacle vivant

Acte de naissance

Recueil de traductions d'une soixantaine de poèmes de Léonard Nolens assorti d'une introduction analytique. Extraits de la présentation de l’ouvrage par Danielle Losman. Leonard Nolens : un poète qui condense à l’extrême, parfois jusqu’à l’implosion. Trou noir, silence, naissance du mot. L’univers entier, celui qui nous entoure, celui que nous sommes chacun, tout le foisonnement du monde : noir sur blanc en quelques mots tranquilles. Tel est l’ars poetica de Leonard Nolens. ‘Ecrire, dit-il, c’est faire de la musique tranquillement assis à une table’. … Une table près d’Anvers dans un chalet ‘qui sent le bois et l’humus’. Assis à cette table, Leonard Nolens écrit tous les jours et toute la journée. Dans ce petit ermitage, tous les combats du poète avec lui-même et le monde, sa souffrance, ses doutes, ses apaisements, ses rêves, ses souvenirs, ses pensés, se résolvent en une longue confrontation avec la langue. Dans le petit chalet règne le silence. Le silence de l’écoute, le silence que l’on fait en soi pour mieux entendre le monde, soi et les autres, pour devenir condenseur de tous les bruits. Le silence du vide que l’on fait en soi pour accueillir le monde, soi et les autres, un vide qui ne fait pas peur puisqu’il est en fusion avec le monde et les autres. Le silence où s’abolit notre entêtement à tout vouloir comprendre, où la pensée court toute seule. Le silence du détachement, de l’absence. ‘Je veux apprendre à écrire ce silence’, dit-il en 1981. Il a réussi. Car ce silence, on l’entend dans chacun des vers de Leonard Nolens, il est la trame de sa poésie, comme le blanc du papier est la trame sur laquelle se noueront les mots. Une telle ascèse intellectuelle évoque bien sûr la pensée Zen. […] Mais Leonard Nolens n’est pas du tout un poète Zen. Les poètes Zen se sont trouvés confrontés à un paradoxe fondamental : écrire Zen. Le Zen étant par essence au-delà du langage puisqu’il abolit la pensée sur la pensée, exclut toute représentation (réduction) symbolique, verbale ou conceptuelle de l’univers ressenti « tel qu’en lui-même », puisqu’il rejette notre entêtement à vouloir conceptualiser, « écrire Zen » ce serait dire l’indicible. Les poètes Zen ont surmonté ce paradoxe en inventant une écriture fugitive, spontanée, concise et superbement impressionniste. L’art Zen est un art qui porte en soi sa négation, toute la joie de la création résidant dans l’accomplissement du geste plutôt que dans la réalisation d’une œuvre. C’est un art sans intention de message. Message il y a puisque des mots sont écrits que nous pouvons lire, mais c’est presque en dépit du poète. Leonard Nolens se différencie radicalement de cette attitude. […] Leonard Nolens écrit pour nous parler. ‘Il fait si calme dans la maison, les hommes m’ont oublié. Ils ne savent pas que ce soir je m’occupe d’eux.’ Il écoute. Il accueille en lui l’ « univers tel qu’en lui-même », clé de la réalité, mais, homme d’infinie patience, il prolonge l’écoute. Et d’autres êtres viennent alors rejoindre la multitude qu’il porte en lui : les mots. Et les mots vont se révéler à lui-même, l’emmener ‘dans le giron maternel d’un système de signes préexistants…Le mot qui te choisit est ton seul salut. Laisse-toi absorber par le mot qui s’approche. Ne te rebelle pas lorsque tout, autour de toi et en toi, se tait ; laisse-toi tranquillement emmener dans ce tourbillon de l’inconcevable, de l’indicible ; en chemin reviennent les mots qui t’empoigneront par le col pour te propulser à nouveau vers la surface, vers le souffle, l’air et la lumière.’ Sous la pensée Zen présente dans son œuvre, on sent couler un puissant courant humaniste. J’entends par là que Leonard Nolens, malgré la tentation nihiliste, garde une immense confiance dans le pouvoir des mots pour dire et faire partager sa condition d’homme. Confiance dans le pouvoir des mots pour dire, confiance dans le pouvoir de la raison pour comprendre.

Fiche

Année
1994
Édition
Différence (La)

Extrait

Extraits de la présentation de l’ouvrage par Danielle Losman. Leonard Nolens : un poète qui condense à l’extrême, parfois jusqu’à l’implosion. Trou noir, silence, naissance du mot. L’univers entier, celui qui nous entoure, celui que nous sommes chacun, tout le foisonnement du monde : noir sur blanc en quelques mots tranquilles. Tel est l’ars poetica de Leonard Nolens. ‘Ecrire, dit-il, c’est faire de la musique tranquillement assis à une table’. … Une table près d’Anvers dans un chalet ‘qui sent le bois et l’humus’. Assis à cette table, Leonard Nolens écrit tous les jours et toute la journée. Dans ce petit ermitage, tous les combats du poète avec lui-même et le monde, sa souffrance, ses doutes, ses apaisements, ses rêves, ses souvenirs, ses pensés, se résolvent en une longue confrontation avec la langue. Dans le petit chalet règne le silence. Le silence de l’écoute, le silence que l’on fait en soi pour mieux entendre le monde, soi et les autres, pour devenir condenseur de tous les bruits. Le silence du vide que l’on fait en soi pour accueillir le monde, soi et les autres, un vide qui ne fait pas peur puisqu’il est en fusion avec le monde et les autres. Le silence où s’abolit notre entêtement à tout vouloir comprendre, où la pensée court toute seule. Le silence du détachement, de l’absence. ‘Je veux apprendre à écrire ce silence’, dit-il en 1981. Il a réussi. Car ce silence, on l’entend dans chacun des vers de Leonard Nolens, il est la trame de sa poésie, comme le blanc du papier est la trame sur laquelle se noueront les mots. Une telle ascèse intellectuelle évoque bien sûr la pensée Zen. […] Mais Leonard Nolens n’est pas du tout un poète Zen. Les poètes Zen se sont trouvés confrontés à un paradoxe fondamental : écrire Zen. Le Zen étant par essence au-delà du langage puisqu’il abolit la pensée sur la pensée, exclut toute représentation (réduction) symbolique, verbale ou conceptuelle de l’univers ressenti « tel qu’en lui-même », puisqu’il rejette notre entêtement à vouloir conceptualiser, « écrire Zen » ce serait dire l’indicible. Les poètes Zen ont surmonté ce paradoxe en inventant une écriture fugitive, spontanée, concise et superbement impressionniste. L’art Zen est un art qui porte en soi sa négation, toute la joie de la création résidant dans l’accomplissement du geste plutôt que dans la réalisation d’une œuvre. C’est un art sans intention de message. Message il y a puisque des mots sont écrits que nous pouvons lire, mais c’est presque en dépit du poète. Leonard Nolens se différencie radicalement de cette attitude. […] Leonard Nolens écrit pour nous parler. ‘Il fait si calme dans la maison, les hommes m’ont oublié. Ils ne savent pas que ce soir je m’occupe d’eux.’ Il écoute. Il accueille en lui l’ « univers tel qu’en lui-même », clé de la réalité, mais, homme d’infinie patience, il prolonge l’écoute. Et d’autres êtres viennent alors rejoindre la multitude qu’il porte en lui : les mots. Et les mots vont se révéler à lui-même, l’emmener ‘dans le giron maternel d’un système de signes préexistants…Le mot qui te choisit est ton seul salut. Laisse-toi absorber par le mot qui s’approche. Ne te rebelle pas lorsque tout, autour de toi et en toi, se tait ; laisse-toi tranquillement emmener dans ce tourbillon de l’inconcevable, de l’indicible ; en chemin reviennent les mots qui t’empoigneront par le col pour te propulser à nouveau vers la surface, vers le souffle, l’air et la lumière.’ Sous la pensée Zen présente dans son œuvre, on sent couler un puissant courant humaniste. J’entends par là que Leonard Nolens, malgré la tentation nihiliste, garde une immense confiance dans le pouvoir des mots pour dire et faire partager sa condition d’homme. Confiance dans le pouvoir des mots pour dire, confiance dans le pouvoir de la raison pour comprendre. Les mots ramènent le poète vers la pensée rationnelle, ils donnent une signification organique à la réalité entrevue, grâce à eux on pourra réfléchir et puis enfin écrire. ‘Il doit y avoir dans le monde des endroits où la vie passe uniquement à réfléchir sur la vie, à réfléchir sur la possibilité de réfléchir sur la vie. Je veux être un tel endroit.’ La multitude dont s’est peuplé le vide intérieur de l’homme qui écoute assis à sa table viendra habiter cet autre vide, la feuille blanche, ‘ce blanc qui nous rappelle le néant d’où nous venons, ce blanc qui est la somme de toutes les couleurs.’ Toutes les choses seront nommées. Le moindre bruissement deviendra parole qu’un autre pourra lire et comprendre parce que ‘mes mots ne sont pas seulement les miens, ils sont à tout le monde.’ « Au commencement était le Verbe. » On pourrait dire pour Leonard Nolens : « Et à la fin vint le Verbe, … et tous virent qu’il était bon. » […] Son œuvre est un exemple unique de rencontre finalement harmonieuse entre la poésie du non-être et la poésie agissante, entre la pensée contemplative et la pensé rationnelle, entre le détachement extatique et la présence constante à la condition humaine, entre l’intellectualisme post-moderne et un certain romantisme. ‘La réconciliation du chanter et du signifier.’ (N’est-ce pas cela, le classicisme ?)