Le cycle des Tenèbres, vol. 1: Les Tenèbres nues. 7 nouvelles + postface.

Le Cycle des Ténèbres, vol. 1

Publié sous le pseudonyme de Daph Nobody. Recueil de sept nouvelles fantastiques et d´épouvante. Epoque contemporaine. Fin 20è/déb 21è. La vengeance d´un frère ressuscité... un couple courant dans la nuit poursuivi par une luxueuse voiture... un sicaire engagé dans une dernière mission plus qu´inhabituelle... deux braqueurs en cavale immergés dans un monde hanté et corrompu par le sang... un homme se réveillant dans une chambre noire ligoté à une chaise, livré à de cruels démons sans visage... ou encore cet aveugle tombant dans les griffes de créatures maléfiques oeuvrant sous une pluie diluvienne... autant de proies au coeur de ces ténèbres si denses qu´elles en deviennent palpables.

Fiche

Visuel
Année
2001

Extrait

Le spectacle avait commencé. Le rideau s'était levé sur un are de terre laissée à l'abandon et conquise par la végétation sauvage avançant gerbes par gerbes vers la maison qui semblait tout aussi à l'abandon vue de l'extérieur bien qu'elle fût meublée. Le soleil, unique projecteur, illuminait la scène de ses rayons traîtres. Au loin retentissait une musique métallique, duo de bourreaux d'acier et de victimes en tôle : la note criarde, au seuil de supportabilité, d'une tronçonneuse, et celle suraiguë, frisant également le seuil de supportabilité, du métal scié, note qui aurait pu se confondre avec un cri de femme si elle ne s'était prolongée à chaque reprise sur une trentaine de secondes, vu que la capacité pulmonaire ne permet à aucun être humain de hurler si longtemps sans répit. Au loin par moments scintillaient des gerbes d'étincelles, que Colin pouvait apercevoir distinctement depuis la fenêtre de sa chambre à l'étage, au moyen de ses jumelles de concert – qu'il possédait bien que n'ayant jamais assisté à un concert, mais qu'il avait dérobées dans un stand d'objets-souvenir à la sortie d'un concert de Judas Priest. Il était fréquent de voir, au mausolée automobile, des gens scier des morceaux de carrosserie ou de châssis ; il y avait même un artiste local qui faisait refondre ce métal pour le couler dans des moules fabriqués de ses propres mains, afin de produire des sculptures métalliques de fesses qu'il exposait régulièrement dans une petite galerie locale – on l'appelait, de ce fait, l'esthète de la lune.

Cet accord dissonant parvenait à Colin de manière étouffée. Colin avait pris une chaise et s'était assis à la lucarne, dans l'ombre, pour admirer ce que, à sa manière, le soleil semblait lui aussi admirer. Le monologue n'allait pas tarder à emplir l'air de son silence. Oui, un monologue silencieux. Des mots eussent été superfétatoires. L'acteur unique de cette pièce à ciel ouvert allait se livrer à une scène particulière... une scène écrite par l'unique spectateur.

Père avait été chercher une pelle dans la remise et, après avoir sifflé deux canettes de bière avec pour seul temps d'arrêt celui qui lui avait été nécessaire pour les décapsuler, allait se mettre au travail. Il se tenait au fond du jardin, près de la tombe du chien, marquée par un bout de bois planté dans le sol en guise de croix. Exposé aux intempéries et à toutes sortes de vermines, ce bout de bois pourrissait de l'intérieur et s'inclinait de plus en plus. Il aurait suffi d'une ultime rafale pour le faucher. Cela arriverait, fatalement. Et de cette tombe il ne resterait rien. La vie était réduite à bien peu de choses, en somme, et un coup de vent ou de hache suffisait à effacer toute trace de mort. Au fond, mon vieux, à grande échelle, d'un point de vue oecuménique, on peut presque dire que ce clébard n'a jamais existé. Après tout, les morts n'existent que dans et par la mémoire des vivants. Oui, il est si facile de supprimer un mort.

Peut-il être aussi facile de rayer un vivant ? Colin allait peut-être en avoir bientôt la réponse.... et le coeur net.