Daphnis Olivier Boelens Bisazza
- Écrit / Son / Audiovisuel / Spectacle vivant
Prosopopée
Nouvelle parue dans le recueil : "Marc Bailly présente : La Belgique Imaginaire - Anthologie Tome 2"
Présentation de l'auteur : Je n'ai découvert la science-fiction que sur le tard. J'étais plus attiré par la littérature fantastique, traitant de phénomènes paranormaux notamment, et par les thrillers et les drames psychologiques. Aussi, quand je me suis vu proposer d'écrire un texte de S-F pour cette anthologie, je me suis dit : c'est l'occasion ou jamais de m'y essayer ! Comme j'affectionne beaucoup le mélange de genres, je ne voulais pas me cantonner dans un sujet exclusivement SF. Je me suis demandé s'il n'était pas possible de traiter, en S-F, d'une problématique plus apparentée au polar, au roman à suspense. La « schizophrénie » a toujours été un de mes thèmes favoris, et j'ai décelé ici une déclinaison intéressante à développer. La question fut donc la suivante : que se passerait-il si un schizophrène sous camisole chimique se retrouvait exposé à un phénomène de duplication spatio-temporelle, où son propre corps se verrait dédoublé, de façon à mettre en scène, en un face-à-face physique, le personnage et son alter ego démoniaque ? C'était une manière de vernir d'une autre dimension un cadre étroitement lié au domaine de la science-fiction. Ici, nous sommes confrontés à une quête de liberté enchâssée dans une chasse à l'homme, sur fond de rêves édéniques.
Fiche
- Visuel
- Année
- 2016
Extrait
ombre, tu me suis
ombre, tu me précèdes
mais chère ombre, si tu me tues, tu te destitues...
En ce 28 mars de l’année 2427, je réussis à me sauver du pénitencier spatial Clavis-4 à bord d’un vaisseau d’approvisionnement interplanétaire. Bon nombre de prisonniers avaient déjà tenté de s’en échapper, sans succès. Tous sans exception avaient été ramenés morts ou estropiés. La cause de ces échecs était toujours la même : ils élaboraient un plan d’évasion à plusieurs, et un des fuyards finissait par trahir les autres en échange d’un allègement de peine, ou se montrait si inefficace durant l’opération qu’il ralentissait dramatiquement la cavale. Moi j’avais agi seul, dans le mutisme le plus absolu. Résultat : j’étais parvenu à me faufiler dans le compartiment-poubelle de l’aéronef sans que personne ne me vît. J’avais toujours été un homoïde solitaire : je ne parlais à personne, ne tissais aucune forme de lien avec quiconque, et passais le plus souvent inaperçu. C’est, du reste, ce qui m’avait permis de réaliser autant de meurtres avant d’être appréhendé. Par un soir de pluie de météorites que je ne suis pas près d’oublier, j’avais commis un faux pas, telle une fausse note qui aurait jailli au coeur d’une rhapsodie qu’un pianiste aurait pourtant jouée tant de fois à la perfection.
Je ne regrettais pas mon séjour carcéral. Les biorégulateurs que l’on m’y avait administrés à raison d’une incérébration toutes les douze heures, avaient annihilé mes pulsions meurtrières, et l’idée même de commettre à nouveau un de ces crimes atroces pour lesquels j’avais été traduit en justice et condamné à 1800 ans d’emprisonnement sans possibilité de sursis, ne me traversait plus jamais l’esprit. La psychotropie avait atteint un tel stade d’évolution qu’elle permettait de vous diviser en deux et de neutraliser la moitié néfaste, comme l’incarcérant dans une prison contenue au fond de votre être. J’étais apaisé. Je percevais encore à l’intérieur de moi la présence de cette entité destructrice, mais elle n’occupait désormais pas plus de fonction que mon coccyx. J’avais retrouvé le contrôle de ma personne. Oserais-je même dire : une certaine joie de vivre ?
Une chose certaine, c’était que j’avais recouvré l’énergie et la volonté d’un homme qui désirait le retour à la liberté pour pouvoir entamer une existence sur de nouvelles bases plus honorables ou, en d’autres termes, plus ordinaires.